Annie Ernaux - L'atelier noirRésumé :

Annie Ernaux publie dans cet ouvrage son journal d’écriture de 1982 à 2005 : il s’agit des diverses interrogations qui la traversent concernant son œuvre en cours d’élaboration, ce qu’elle veut écrire, ce dont elle cherche à rendre compte dans ses livres et les difficultés inhérentes à la forme qui se posent à elle. Ce matériau nous offre un éclairage précieux sur les livres qu’elle a publiés et notamment sur Les Années, vaste projet de “roman total” qui a entraîné chez l’auteure un long questionnement sur sa mise en forme.

Extrait :

Commencer un livre, c’est sentir le monde autour de moi, et moi comme dissoute, acceptant de me dissoudre, pour comprendre et rendre la complexité du monde.

(Extrait du journal d’écriture du 5 juillet 1990)

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14 mai

C’est depuis octobre 83 que je veux faire une vie de femme, un “roman total”.
Le forme que je donnerai à la résolution de mes problèmes structurels ne peut être que celle qui correspond à qq chose de ma vie. Ce sera, dans mon livre, ce qui sera seulement et pleinement unique.
Il me paraît évident qu’une vie en narration romanesque est une imposture. Plus je pense à mon “histoire” plus elle est en “choses” extérieures (fond) et fragments (forme). les romans nous font croire que la vie est dicible en roman. Rien n’est plus une illusion. Fausseté de “l’autofiction” (en dehors de S. Doubrovsky).
Il y a un aspect auquel je pensais beaucoup il y a 10 ans, pour le RT : une vie de femme. Comment le faire voir dans ce que j’ai commencé ? (si je refuse le “je” ?).
Le pb du sensible, de l’émotionnel et de l’Histoire, non réglé.
Le pb de l’intériorité sociale, non réglé.

(Extrait du journal d’écriture de 2002)

Avis :

Voilà un livre tout à fait passionnant, surtout pour moi qui ai travaillé pendant un an sur l’œuvre d’Annie Ernaux (du coup, mon seul regret est qu’elle ne l’ait pas publié plus tôt). S’il est vrai que l’auteure inclut beaucoup de questionnements sur les formes que peut prendre son écriture au sein même de ses ouvrages en général, on se rend véritablement compte en lisant ce journal que sa préoccupation principale est l’articulation entre ce qu’elle veut dire et la forme à lui donner pour exprimer avec force la vérité qui préside à la création de chacun de ses livres. Ce livre va à l’encontre de l’image de l’écrivain-génie inspiré, il témoigne au contraire d’une recherche incessante, faite de tâtonnements et d’échecs et nous donne une idée du travail et de la difficulté que peut représenter le fait d’écrire. Un livre fort, qui laisse entrevoir encore une fois la profondeur et la qualité des réflexions qui poussent Annie Ernaux dans l’acte d’écriture.

Note :

Annie Ernaux (1940) – Française
203 pages – 2011 – ISBN : 978-2-36166-009-3