Résumé :

Benjamin Lorca était un écrivain tourmenté qui a décidé de mettre fin à ses jours en mai 1992. En remontant les quinze années qui nous séparent de cette mort, quatre de ses proches (deux amis, un frère et une ex-compagne) nous dressent leur portrait de Benjamin, chacun connaissant une facette différente de ce personnage qui se livrait peu. Tous doivent aussi faire face au journal intime laissé par Benjamin : faut-il le lire ? le publier ou bien le détruire comme le souhaitait son auteur ?

Extrait :

Il faut dire que nous avons tous “couru” ces cinq dernières années, nous efforçant de vaquer à notre devenir puisque, bien sûr, cette question de notre devenir se posa plus tôt que nous ne l’avions prévu. La vie finit toujours par revenir et c’est une trahison contre laquelle nous ne pouvons rien. A croire qu’il y a une date de péremption sur tous les cercueils, fixée d’un accord tacite par cette entité inflexible qui finit immanquablement par réussir à nous enrôler : les autres. Les autres qui vivent et travaillent, ceux qui ont peut-être vécu la même chose que nous, ceux qui n’ont pas vécu la même chose que nous, ceux qui ont été épargnés pour le moment, ceux qui sont heureux, ceux qui se traînent pour des raisons qui n’ont rien à voir avec les nôtres ou même avec une quelconque disparition, les autres, plus ou moins attentifs et présents, les autres qui ne peuvent pas partager ce que l’on endure et prendre notre douleur, les autres qui nous laissent seuls car ce n’est pas de leur ressort ni même humain de s’arrêter de vivre comme nous sommes contraints de le faire ou, plutôt, de se mettre en marche forcée comme nous. Et moi qui craignais, la semaine de l’enterrement, que Benjamin ne se mette à leur “appartenir”, comme vulgrairement tombé dans le domaine public… Rien du tout : sitôt le rituel passé, on nous le rendit, lui et la béance. On ne garda de lui que ses livres. Et l’injustice était vouée à persister : à nous le pire, aux lecteurs et admirateurs le meilleur. Aux autres, ses romans suffirent à faire croire qu’il était encore un peu là. Nous, rien ne put nous leurrer. Alors voilà : ceux-là retournèrent à leur existence et sans doute nous ont-ils du même coup montré le chemin que nous ne manquerions pas d’emprunter, à notre tour, de longs mois plus tard.

Avis :

C’est en 2009 que j’ai vraiment découvert Arnaud Cathrine, que je me suis plongé dans ses livres, et j’ai rapidement été séduit par ce jeune auteur. Ce n’était donc pas sans impatience que j’attendais la sortie de ce tout dernier livre qui m’a beaucoup touché.
Dans ce nouveau livre, on retrouve rapidement la signature de l’auteur : quelqu’un disparaît et ce sont ses proches qui, en évoquant leurs souvenirs, nous dressent son portrait. Je vous mentirais si je prétendais ne pas avoir été inquiet en voyant que ce roman suivait le même schéma, de peur d’avoir entre les mains une histoire peu différente des autres. Heureusement, mon inquiétude s’est vite dissipée. On est ici bien loin des “Yeux secs“, le premier roman de Cathrine. Le style est beaucoup plus travaillé et abouti. L’absence et le deuil sont présents de la première à la dernière ligne dans ce récit à quatre mains ce qui en fait un livre très riche en émotions.
Autour de ce thème gravite aussi la question du journal intime laissé par Benjamin Lorca : faut-il le publier ou bien respecter les souhaits du défunt et le détruire ? Un questionnement à la Kafka qui n’est pour autant pas vide d’intérêt.
Il y a quelques mois, après avoir lu “L’invention du père“, j’avais contacté Arnaud Cathrine pour lui faire part de mon avis sur le livre. Il m’avait alors répondu, à propos de ce nouveau roman :

Si vous lisez le prochain, vous verrez que je ne m’arrange pas puisqu’il s’agit d’une sorte d’auto-portrait vu par mes proches (si je mets à part la transposition fictionnelle qui sera présente malgré tout)…!
Pudeur ? Oui, sans doute. Un peu ringarde comme valeur. Mais qui me colle à la peau probablement !! Je n’y peux rien. Et puis sans doute se voit-on (ou voit-on les autres) à travers un prisme inédit quand tout est indirect… ?

Le journal intime de Benjamin Lorca” serait donc une sorte d’autofiction ce qui n’est pas si surprenant. On trouve en effet dès la troisième page une référence aux grands noms du genre comme Annie Ernaux.

Le livre est dédié à la mémoire de Vincent de Swarte, auteur que je ne connais pas du tout mais j’ai bien envie d’aller en lire un peu plus sur lui. Si jamais vous connaissez un peu cet auteur, je suis preneur de vos remarques et recommandations.

Une fois de plus, courez chez votre libraire découvrir ce jeune auteur qu’est Arnaud Cathrine, vous avez tout à y gagner !

Note :

Arnaud Cathrine (1973) – Français
199 pages – 2010 – ISBN : 978-2-07-012824-2