Résumé :

Trois récits qui se déroulent entre la France et l’Afrique. L’histoire de Nora d’abord, qui vit en France depuis toujours mais vient rendre visite à son père en Afrique sur la demande pressante de celui-ci. L’histoire de Rudy ensuite, dont la vie fout le camp et qui ne cesse de ressasser la dispute qu’il a eue avec sa femme Fanta au matin. Et l’histoire de Khady, qui se retrouve veuve et chassée par sa belle-famille, et qui entreprend un long périple pour rejoindre la France.

Extrait :

Dans le ciel d’un bleu clair et doux Khady voyait voler choucas et mouettes, consciente de les voir voler et suprise, presque apeurée de cette conscience, se disant, non pas nettement, encore confusément et mollement, sa pensée encore entravée par les brumes de ses rêveries, se disant : Il y a longtemps que je n’étais pas allée par là – vers le bord de mer où sa grand-mère l’envoyait, enfant, acheter du poisson aux pêcheurs tout juste débarqués.
Et elle ressentit alors si pleinement le fait indiscutable que la maigre fillette farouche et malheureuse qui discutait âprement le prix du mulet, et la femme qu’elle était maintenant, qui suivait un étranger vers un rivage semblable, constituaient une seule et même personne au destin cohérent et unique, qu’elle en fut émue, satisfaite, comblée, et que ses yeux la picotèrent, et qu’elle en oublia l’incertitude de sa situation ou plutôt que cette précarité cessa de lui paraître aussi grave rapportée à l’éclat exaltant d’une telle vérité.
Elle sentit sur ses lèvres l’ombre, le souvenir d’un sourire.

Avis :

Je suis plus que mitigée pour ma part. Et les critiques élogieuses que j’ai pu lire ou entendre dans la presse renforcent mon incrédulité. Ce n’est pas que ce soit mal écrit et le début est plutôt encourageant : la première histoire réussit à créer un monde dense, par moments à la limite du fantastique, dont on découvre les recoins progressivement, et par petites touches qui font mouche. La seconde est la plus longue et la moins digeste puisque les atermoiements du protagoniste donnent envie de lui arracher la langue (au moins comme ça, il arrêterait de nous pourrir la vie avec ses “regardez comme je suis malheureux dans ma vie parce que je suis un raté mais reconnaissez que je ne suis pas aidé avec mon passé  pourri que je vais me faire un malin plaisir de vous raconter”) entre des accents de narcissisme et de larmoiements qui m’ont rappelé de pénibles souvenirs. La troisième est moins insupportable mais pas vraiment inoubliable. Les accents de tragique qui nimbent parfois l’écriture de Marie NDiaye d’une profondeur universelle sont malheureusement le plus souvent le signe d’une certaine lourdeur et on regrette que ça ne décolle pas (surtout après un début prometteur). De plus, hormis de vagues échos entre les histoires, je n’ai guère trouvé de véritable cohérence au roman, alors qu’il y avait de quoi faire mieux ficelé et les récits se faisant écho auraient eu tout à y gagner niveau intensité. Le style de Marie NDiaye est bien souvent lourd (et les phrases de plus d’une page, quand elles ne sont pas somptueusement écrites, me sortent par les yeux) et elle cisèle tellement ses personnages qu’on se sent totalement écrasé par la focalisation interne (et ce, d’autant plus que lesdits personnages ne sont pas attachants – Nora exceptée). Quant au titre, plus j’y pense et plus je le ressens comme ironique ; et puis, il y a une forme d’artificialité dans le consensus qui existe autour de ce livre qui attise ma méfiance. Alex a préféré la première histoire comme moi mais dans l’ensemble a plutôt apprécié l’écriture de Marie NDiaye. Amanda Meyre est à peu près aussi perplexe que moi, même si son coup de coeur va à la troisième histoire. Je rejoins l’avis de La Meuf qui m’a troublé puisqu’en le lisant, je me suis rendue compte qu’on partageait à peu près rigoureusement le même point de vue sur le livre (mais son article est bien plus drôle que le mien).
Quant au fait de lui avoir attribué le Goncourt, j’en connais deux qui l’auraient plus amplement mérité : Jan Karski ou Ce que je sais de Vera Candida.

Note :

Prix Goncourt 2009
Marie NDiaye (1967) – Française
317 pages – 2009 – ISBN : 978-2-07-078654-1