Résumé :

Raskolnikov est un ancien étudiant de 23 ans. Alors qu’il vit dans un état de pauvreté déplorable, il projette de tuer une femme chez qui il a mis des objets en gage afin de la voler et peut-être de commencer ainsi une nouvelle vie. Il commet son méfait dans un état second mais rien ne se passe comme il l’avait prévu. Il réussit toutefois à s’enfuir sans se faire prendre. Comment vivre dès lors qu’on a franchi une certaine limite  et que reste-t-il en l’homme d’humanité après un tel acte ?

Extrait :

-Non, non, Dieu la protégera, elle, Dieu…, répétait-elle hors d’elle-même.
-Mais peut-être n’existe-t-il pas, répondit Raskolnikov avec une sorte de triomphe cruel. Il éclata de rire et la regarda.
A ces mots un brusque changement s’opéra sur les traits de Sonia, des frissons nerveux la parcoururent. Elle lui lança un regard de reproche indicible, et voulut parler, mais aucun  mot ne sortit de ses lèvres, elle se mit brusquement à sangloter amèrement en couvrant son visage de ses mains.
-Vous dites que Katerina Ivanovna a l’esprit troublé, mais le vôtre l’est aussi, fit-il, après un moment de silence.
Cinq minutes passèrent. Il arpentait toujours la pièce, de long en large, en silence et sans la regarder. Enfin, il s’approcha d’elle, ses yeux étincelaient. Il lui mit les deux mains sur les épaules et fixa son visage tout couvert de larmes. Son regard était sec, dur et brûlant, ses lèvres tremblaient convulsivement… Tout à coup il s’inclina, se courba jusqu’à la terre et lui baisa le pied. Sonia recula pleine d’horreur comme si elle avait eu affaire à un fou. Et il avait bien l’air d’un dément, en effet.
-Que faites-vous ? Devant moi ! balbutia-t-elle en pâlissant, le cœur étreint d’une douleur affreuse.
Il se releva aussitôt.
-Ce n’est pas devant toi que je me suis prosterné, mais devant toute la douleur humaine, fit-il d’un air étrange, et il alla s’accouder à la fenêtre. Ecoute, ajouta-t-il, en revenant bientôt vers elle, j’ai dit tantôt à un insolent personnage qu’il ne valait pas ton petit doigt… et que j’ai fait un honneur à ma sœur, aujourd’hui, en l’invitant à s’asseoir près de toi.

Avis :

Un livre très troublant, dans lequel on met du temps à entrer, mais qu’on ne peut ensuite plus lâcher. Ce n’est pas mon premier Dostoïevski et j’ai toujours cette sensation avec ses livres : ce sont des lectures qui nécessitent l’implication totale du lecteur (de par leur longueur et leur densité), mais on est ensuite récompensé au centuple, puisque lire Dostoïevski, et tout particulièrement celui-ci, c’est accéder à toute la complexité de la nature humaine, jusque dans sa noirceur et dans ses zones d’ombres. A travers une galerie de personnages sur lesquels sont portés des éclairages contrastés, Dostoïevski nous donne à lire une réflexion saisissante sur l’humanité. Au-delà d’une réflexion simplette sur la morale, qui est ici largement dépassée, l’auteur semble vouloir entraîner son lecteur jusqu’au bord d’un abîme vertigineux : Raskolnikov est un personnage d’une intelligence extrême et donc les réflexions ne manquent pas d’ébranler les convictions les plus profondes. Même la fin (les deux dernières pages) paraît trop convenue pour être honnête, comme si l’auteur lui-même s’effrayait de ce qu’il touchait du doigt. Les personnages de Dostoïevski me font penser à ceux de Beckett : ils incarnent une humanité qui ressent -sans vouloir se l’avouer- sa profonde déréliction ; et c’est avec des moyens dérisoires qu’ils tentent de faire face au néant.

Note :

Fedor Dostoïevski (1821-1881) – Russe
577 pages – 1866 – ISBN : 978-2-07-039253-7