David Boratav – Murmures à Beyoglu
Art Souilleurs a décidé de s’associer à un projet ambitieux : chroniquer l’ensemble des livres de la rentrée littéraire ! Vous retrouverez donc cette chronique sur le site Chroniques de la rentrée littéraire qui regroupe l’ensemble des critiques réalisées dans le cadre de l’opération. Pour en savoir plus c’est ici.
“Murmures à Beyoglu” est le premier roman de David Boratav. L’histoire d’un homme qui a perdu le sommeil et qui est lui-même un peu perdu, à la recherche de lui-même, d’une identité. Vivant à Londres, il a oublié son passé ; sa femme l’a quitté, son travail ne lui plait plus… Il décide de retourner à Istanbul, dans la ville où a vécu son père, à Beyoglu. “Beyoglu est une colline, la huitième, hors des remparts qui ceignent les sept collines d’Istanbul”.
J’aurais beaucoup de mal à comparer ce livre à un autre, si le personnage principal de cette histoire cherche son identité, je crois qu’à l’inverse ce livre a vraiment son identité, il sort du cadre habituel. Peut-être ai-je cet avis parce que l’histoire se déroule en grande partie en Turquie, pays dont je ne connais pas grand chose, mais je pense vraiment qu’il ne s’agit pas que de cela David Boratav réussit à décrire des odeurs, des bruits, nous permettant de nous immerger totalement dans la ville turque.
Autre point fort du livre : le personnage principal. Je déplore souvent dans les livres que les personnages ne sont pas assez creusés, exploités, qu’il aurait été intéressant de décortiquer un peu plus leurs pensées, leurs états d’âme. David Boratav m’a fait plaisir sur ce point puisqu’il nous livre un personnage très riche. Voyez par exemple ces deux extraits :
« Les années qui avaient précédé mon divorce d’avec Hannah avaient été amères et exemplaires de l’immaturité dont peuvent faire preuve deux adultes lorsqu’ils perdent toute mesure des sentiments et instincts qui les rapprochent. On ne se voyait presque plus, elle et moi. Elle était rentrée de la faculté ce soir-là, et m’attendait au salon avec un sourire triste, signe d’un désagrément professionnel ou d’une migraine. Elle avait l’air froissée mais son humeur n’était pas combative et cela ne lui ressemblait pas. Récemment, elle s’était mise à surveiller ce qui sortait de sa bouche, elle disait qu’elle se censurait pour moi. J’étais désolé qu’elle s’empêchât de dire le fond de sa pensée, mais nous préférions cette approche aux fanfares de récriminations. L’alcool aidait à aplanir les différends mais une noirceur s’insinuait entre nous. L’oxygène se raréfiait, comme si nos corps, précipités dans un puits de silence, s’essoufflaient, sans réussir à s’agripper une dernière fois l’un à l’autre. Je n’avais rien vu venir. »
« Parfois, j’aurais voulu être l’un de ces disparus dont on ne retrouve jamais le corps, de ceux qui changent d’identité ou simulent leur propre décès pour disparaître d’une vie qui leur pèse trop. J’avais déjà disparu une fois et j’étais mort pour ceux qui vivaient ici, à Istanbul. Et les hommes morts, c’était bien connu, obtenaient le droit au retour vers la terre de leurs ancêtres, celle d’où ils avaient été bannis jadis. A cette terre, ils revenaient sous forme d’ombres et leur récompense était double : ayant gagné le droit de rentrer, ils gardaient l’anonymat. Les premiers jours en effet, personnes n’avait paru se rendre compte de ma présence en ville. Personne n’avait su et personne ne pouvait savoir. La question n’était même pas là. La question était plutôt : Qui aurait sur que j’étais rentré ? Ma mère. C’était la somme, à peu près, de ce qu’il restait à mes yeux de vivants dans cette ville du passé. »
Paradoxalement, le principal point faible que je vois dans ce livre sont les trop nombreuses descriptions. J’avoue que cette critique est assez facile… Comment partager l’univers assez méconnu de la Turquie sans descriptions ? Je n’ai pas la solution mais je dois reconnaître m’être ennuyé à plusieurs moments dans des passages un peu trop longs. Peut-être aussi parce que la Turquie ne m’attire pas particulièrement et que je n’étais pas la personne la plus sensible à ce sujet.
Dans tous les cas, je serai heureux d’avoir les avis d’autres lecteurs sur ce livre alors n’hésitez pas à me transmettre vos impressions si vous l’avez lu.
Note :
David Boratav (1971) – Français
356 pages – 2009 – ISBN : 978-2-07-012628-6
octobre 10th, 2009 à 11:17
Je ne connais pas ce livre, mais vu ce que tu en dis, je ne sais pas si j’ai vraiment envie de le découvrir. :/
octobre 10th, 2009 à 11:17
D’ailleurs, c’est une réédition ?
octobre 10th, 2009 à 11:37
Je pense que si la Turquie t’intéresse un minimum ou si tu as envie d’en savoir plus sur ce pays, alors ce livre pourrait beaucoup te plaire mais sinon c’est plus difficile d’accrocher à l’histoire.
Ce n’est pas une réédition, il s’agit de son premier livre tout dernièrement sorti. Il fait partie de la “rentrée littéraire”.
octobre 10th, 2009 à 13:12
Tiens je ne connaissais pas du tout ce livre. Vivant en Turquie, le titre m’a forcément interpellé. Je le lirais bien, à l’occasion )
décembre 9th, 2009 à 22:55
Dans ce très beau roman, le narrateur, issu d’une famille turque contrainte à l’exil en France à la fin de son enfance, est devenu un adulte insomniaque, vivant et travaillant à Londres, où il essaie de soigner une névrose qui semble miner ses dernières forces. Un concours de circonstances lié au décès de son père l’amène à retourner à Istambul, une ville qu’il a voulu, dès son arrivée en France, chasser de son esprit. Mais si « la forme d’une ville / change plus vite, hélas que le cœur d’un mortel », il va y voir ressurgir les souvenirs enfouis de son passé : voix, sons, parfums, lumières, vont le guider dans sa « Recherche du temps perdu ». L’évocation de ses impressions enfantines et le récit de ses découvertes dans l’Istambul actuelle alternent au fil des chapitres. On ne révélera pas ici l’aboutissement de sa quête, de cette sorte d’étrange thérapie…
Si la trame romanesque reste extrêmement mince – recherche d’un manuscrit perdu, sénilité de la mère, séisme meurtrier – il faut lire ce livre superbe pour la justesse et la beauté des évocations de la Ville, pour l’analyse profonde des êtres et de leurs raisons d’exister, pour le va et vient entre nostalgie et quête de soi-même, pour la qualité et la densité du style.
Enfin un vrai livre, pourrait-on dire… Une seule réserve : on ne peut envisager de proposer qu’à des amateurs éclairés ce roman qui se déguste comme un verre du meilleur raki ou comme un thé parfumé qui réchaufferait non les doigts, mais l’intelligence et la sensibilité du lecteur.
mars 24th, 2012 à 12:51
Habitant en Turquie à İstanbul, ce livre m’a beaucoup plû,
d’autant plus que je l’ai acheté en France pendant un
très court séjour à Paris … J’ai été curieuse de lire
ce qu’un étranger pourrait construire littérairement sur
Beyoğlu ! Et je trouve qu’il doit être très intéressant et pour les turcs et pour un français qui voudrait connaître un peu la Turquie ! Avec un peu de patience en lisant les descriptions on s’habitue vite au style de l’auteur ..Je le conseille vivement à tous….