Résumé :

Un recueil de nouvelles plutôt trash mais pour la plupart très réussies qui tournent autour des thèmes du désir et de la frustration et qui mettent en scène des personnages complètement détraqués et bien souvent dépourvus de moralité. Coup de cœur notamment pour “L’aliment de l’artiste”, “Roger l’orphelin” et “Homme avec Minotaure”.

Extrait :

Je vais vous raconter l’histoire d’un enfant qui réclama un autographe à Picasso. Comme chacun sait, au début des années cinquante, Picasso vivait à Cannes et tous les matins, il se chauffait au soleil de la plage de La Californie. Son passe-temps favori était de jouer avec les enfants qui construisaient des châteaux de sable. Un touriste, après avoir remarqué combien il goûtait leur compagnie, envoya son fils lui demander un autographe. Après avoir entendu le souhait de l’enfant, Picasso regarda avec mépris l’homme qui l’utilisait comme intermédiaire. Si quelque chose lui déplaisait dans la notoriété, c’était bien le fait que les gens achetassent sa signature et non ses tableaux. Faisant semblant d’être captivé par la grâce de l’enfant, il sollicita du père la permission de l’emmener à son atelier pour lui offrir un dessin. Le touriste donna son consentement avec grand plaisir et une demi-heure après il vit revenir son fils avec un minotaure tatoué sur le torse. Picasso lui avait accordé la signature qu’il désirait tant, mais il l’avait inscrite dans la peau de l’enfant, pour l’empêcher d’en faire commerce.

Avis :

A part quelques nouvelles auxquelles j’ai moins accroché, j’ai dans l’ensemble beaucoup aimé ce recueil. Les histoires ne manquent pas d’originalité, et bien qu’elles soient le plus souvent malsaines, l’auteur parvient sans difficultés à nous rendre complices des protagonistes qu’il met en scène. Les ingrédients qui reviennent la plupart du temps sont des histoires d’amours frustrées et des personnages écorchés par la vie. Serna nous les dépeint avec une verve satirique  tout à fait remarquable ; personne n’est épargné et en même temps, son style jubilatoire fait mouche et on n’a qu’une envie : découvrir ce que la suite nous réserve. De plus, il fait preuve d’une maîtrise de l’art de la nouvelle qui ne se dément pas au fil du recueil (seul bémol : les trois dernières nouvelles m’ont paru un peu en dessous du niveau du reste). Certains textes peuvent toutefois choquer les esprits bien pensants : âmes sensibles s’abstenir. Pour les autres : foncez !

Note :

Enrique Serna (1959) – Mexicain
213 pages – 1994 – ISBN : 291358943-X