Carole Martinez – Du domaine des murmures
Résumé :
Esclarmonde a dix-sept ans lorsqu’elle fait le vœu d’être emmurée vivante pour consacrer sa vie à Dieu, échappant ainsi à un mariage qu’elle a toujours désapprouvé. Mais dans un monde nourri de croyances religieuses et des superstitions les plus folles, le mystérieux pouvoir qui auréole celle qui va devenir “la Vierge des Murmures” cache un secret qu’il vaut mieux ne pas révéler.
Extrait :
J’ai tenté d’acquérir la force spirituelle, j’ai rêvé de ne plus être qu’une prière et d’observer mon temps à travers un judas, ouverture grillée par où l’on m’a passé ma pitance durant des années. Cette bouche de pierre est devenue la mienne, mon unique orifice. C’est grâce à elle que j’ai pu parler enfin, murmurer à l’oreille des hommes et les pousser à faire ce que jamais mes lèvres n’auraient pu obtenir, même dans le plus doux des baisers.
Ma bouche de pierre m’a offert la puissante de la sainte. J’ai soufflé ma volonté depuis la fenestrelle et mon souffle a parcouru le monde jusqu’aux portes de Jerusalem. Mes yeux, dans la tombe entrouverte, ont suivi les croisés en route vers Saint-Jean-d’Acre, jadis nommée Ptolémaïs.
Mais ma voix a déplu, on me l’a arrachée. Et les phrases avalées, les mots mort-nés m’étouffent.La foule des peines souterraines me tourmentent. Ce qui n’a pas été dit m’enfle l’âme, flot coagulé, furoncles de silence à percer d’où s’écroulera le fleuve de pus qui me retient entre ces pierres, ce long ruban d’eau noire charriant carcasses d’émotions, cris noyés aux ventres gonflés de nuit, mots d’amour avortés. Saignées de paroles pétrifiées dans leurs gangues.
Entre dans l’eau sombre, coule-toi dans mes contes, laisse mon verbe t’entraîner par des centres et des goulets qu’aucun vivant n’a encore empruntés.
Je veux dire à m’en couper le souffle.
Écoute.
Avis :
La plume envoûtante et inimitable de Carole Martinez a encore frappé. Comme dans Le cœur cousu, elle s’intéresse à un destin de femme hors du commun mais cette fois, elle place son intrigue dans un XIIème siècle empreint de croyances inquiétantes, dont l’atmosphère est propice à rendre poreuse la frontière entre les vivants et les morts. L’écriture de Carole Martinez est portée par un souffle incantatoire qui nous donne accès à ce monde, la voix d’Esclarmonde ainsi que son histoire nous ensorcèlent comme si par-delà les siècles son pouvoir existait encore, relayé par une auteure qui ne fait que confirmer un peu plus ses talents de conteuse hors pair. Même si j’avais préféré Le cœur cousu, même si j’ai retrouvé le style du premier sans vraiment de surprise dans ce deuxième roman, j’ai été séduite par cette enrichissante expérience de lecture.
Note :
Carole Martinez (1966) – Française
201 pages – 2011 – ISBN : 978-2-07-013149-5
août 29th, 2011 à 9:14
Billet à venir ces jours prochains … Je n’ai pas aimé ce roman comme son premier (pas retrouvé une certaine magie), mais il reste parmi mes petits coups de coeur tout de même.
août 29th, 2011 à 9:24
Oui je te comprends, il y a une magie qui n’opère plus. Mais il n’empêche que l’écriture de Carole Martinez ne ressemble à nulle autre.
août 29th, 2011 à 10:55
Entièrement de ton avis, oui !
août 29th, 2011 à 21:27
Donc, moins bien que le premier, avec lequel elle avait placé la barre très haut, mais quand même formidable, je suis tentée…
août 31st, 2011 à 17:37
Bonjour,
je vois que vous avez déjà lu plusieurs livres de cette rentrée Voulez vous participer au challenge 1% ? (http://delivrer-des-livres.fr/?p=2894) N’ayant pas lu le premier livre, celui ci est sur ma liste
août 31st, 2011 à 19:47
Bonjour ! Merci pour ton message.
Merci de nous proposer ce challenge, nous allons y participer avec plaisir
septembre 4th, 2011 à 15:35
Gros coup de coeur pour moi, quel style ! Et cette jeune demoiselle esclarmonde est assez passionnante dans ses contradictions !
septembre 5th, 2011 à 0:22
Schlabaya : oui oui, il faut te laisser tenter, ça vaut le coup !
Liliba : tout à fait, Esclarmonde est terrifiante dans sa détermination mais elle se révèle finalement désespérément humaine, ce qu’elle doit d’ailleurs payer cher.