Résumé :

Ce roman est une réécriture du Robinson Crusoé de Daniel Defoe. Il relate l’histoire de Robinson qui, après le naufrage de La Virginie, se retrouve le seul survivant sur une île qu’il baptise Speranza. L’histoire devient alors prétexte à une réflexion philosophique sur la solitude. Le héros doit en effet organiser sa survie en maîtrisant les éléments naturels, puis progressivement il s’établit entre l’île et lui un rapport fusionnel. Le livre aborde différents thèmes de portée philosophique : la remise en question de l’être et le réapprentissage de toute la manière d’envisager la vie, une réflexion sur la perception du passage du temps, sur ce qui subsiste d’humain dans l’homme privé d’autrui… cela jusqu’à l’arrivée de Vendredi.

Extrait :

Sur le miroir mouillé de la lagune, je vois Vendredi venir à moi, de son pas calme et régulier, et le désert de ciel et d’eau est si vaste autour de lui que plus rien ne donne l’échelle, de telle sorte que c’est peut-être un Vendredi de trois pouces placé à portée de ma main qui est là, ou au contraire un géant de six toises distant d’un demi-mille…
Le voici. Saurai-je jamais marcher avec une aussi naturelle majesté ? Puis-je écrire sans ridicule qu’il semble drapé dans sa nudité ? Il va, portant sa chair avec une ostentation souveraine, se portant en avant comme un ostensoir de chair. Beauté évidente, brutale, qui paraît faire le néant autour d’elle.
Il quitte la lagune et s’approche de moi, assis sur la plage. Aussitôt qu’il a commencé à fouler le sable semé de coquillages concassés, dès qu’il est passé entre cette touffe d’algues mauves et ce rocher, réintégrant ainsi un paysage familier, sa beauté change de registre : elle devient grâce. Il me sourit et fait un geste vers le ciel – comme certains anges sur des peintures religieuses – pour me signaler sans doute qu’une brise sud-ouest chasse les nuées accumulées depuis plusieurs jours et va restaurer pour longtemps la royauté absolue du soleil. Il esquisse un pas de danse qui fait chanter l’équilibre des pleins et des déliés de son corps. Arrivé près de moi, il ne dit rien, taciturne compagnon. Il se retourne et regarde la lagune où il marchait tout à l’heure. Son âme flotte parmi les brumes qui enveloppent la fin d’un jour incertain, laissant son corps planté dans le sable sur ses jambes écarquillées.

Avis :

J’ai mis beaucoup de temps à rentrer dans ce bouquin. Si Michel Tournier a un style d’écriture très soigné, il n’en reste pas moins à mes yeux assez froid (sauf le passage que j’ai mis en extrait car la description me paraissait vraiment très belle et poétique). Je n’ai pas lu le roman de Defoe, même si je connais l’histoire de Robinson Crusoé, ma critique ne peut donc pas s’étendre à une comparaison entre les deux œuvres.
Tournier est de formation philosophique, ce qui ressort clairement dans son travail de romancier : ici, on a affaire à un jeune homme qui se retrouve naufragé sur une île et qui se met à disserter dans son log-book sur divers thèmes philosophiques, réflexion stimulée par la situation dans laquelle il se trouve. Personnellement, je trouvais au début assez improbable cet élan philosophico-existentiel, mais progressivement on se prend au jeu et on prend conscience de l’état de profonde déréliction dans lequel se trouve Robinson. Les réflexions de Tournier sont intéressantes, plutôt accessibles, et petit à petit, le roman paraît moins froid, atteignant même à la fin une indéniable beauté, qui correspond aussi à une sorte d’apothéose vécue par le héros. Néanmoins, on distingue toujours une certaine distance, une narration impersonnelle qui empêche l’adéquation parfaite du lecteur avec le récit. Au final, je suis bien contente d’avoir lu ce livre, car Tournier est un auteur très intéressant, très cultivé et qui insère dans ses œuvres beaucoup de références, mythologiques entre autres. J’avais lu de lui Le Roi des Aulnes qui était riche en références passionnantes, mais très difficilement accessible. C’est donc un auteur qu’il est préférable d’aborder avec un bagage culturel assez pointu (ce dont je ne dispose malheureusement pas, sur le plan philosophique du moins). Pour ma part, je préfère en règle générale un peu moins d’érudition dans un livre, mais pouvoir m’identifier plus facilement aux personnages.

Note :

Michel Tournier (1924) – Français
254 pages -1967 – ISBN : 2-07-036959-5