Résumé :

Quatre narrateurs se succèdent tour à tour pour relater leur vision du monde quand ils avaient six ans : le premier, Solomon, est le fils du second, Randall, qui est lui-même le fils de la troisième, Sadie, qui est elle-même la fille de la quatrième, Kristina (il y a un arbre généalogique au début du livre pour resituer tout cela). Ces quatre regards s’échelonnent de 2004 à 1944 et font découvrir progressivement l’impact de la Grande Histoire (omniprésente en toile de fond) sur les destins individuels, chaque nouveau récit éclairant sous un angle inédit les personnages rencontrés au fil du roman.

Extrait :

Personnellement j’ai un lien spécial avec mamie Erra parce qu’on a tous les deux la même tache de naissance ronde et marron, la sienne est au creux de son bras gauche et la mienne à la base du cou – ou plutôt, à mi-chemin entre le cou et l’épaule gauche. Une fois, quand je passais le week-end chez elle dans un loft sur le Bowery, on a comparé nos taches et elle m’a dit que la sienne l’aidait à chanter alors je lui ai dit que la mienne me tenait compagnie, qu’elle était comme une petite chauve-souris perchée sur mon épaule gauche, qui me chuchote des conseils à l’oreille quand j’en ai besoin. Erra a tapé dans ses mains de joie en disant : “C’est formidable, Randall. Promets-moi de ne jamais perdre contact avec cette chauve-souris !” alors je lui ai promis.
Elle est tellement chaleureuse.
Je ne sais pas exactement ce que m’man a contre mamie Erra, à moins qu’elle ne soit jalouse parce qu’elle est si célèbre et que tout le monde l’admire. A mon avis, elle voit sa mère comme une rêveuse et une fois je l’ai entendue la traiter d’autruche à l’envers parce qu’elle a la tête non dans le sable mais dans les nuages, autrement dit elle refuse de s’occuper des dures réalités du monde.

Avis :

Ce livre me réconcilie avec Nancy Huston romancière. J’ai quand même eu un peu de mal avec le premier narrateur qui est assez antipathique et dérangé mais cela ne m’a pas du tout empêchée d’entrer dans le roman. Je trouve que sa construction est tout à fait judicieuse et réussie ; j’avais peur de me lasser des changements de narrateurs mais pas du tout. Surtout que choisir le point de vue d’un enfant de six ans est très intéressant : l’auteure réussit à être touchante et percutante dans cet exercice et le ton ne paraît pas artificiel. C’est passionnant de voir ce que la vie a fait des personnages et remonter dans le temps nous permet de comprendre chacun et de changer d’avis sur l’attitude de tel ou tel personnage. De plus, le regard qui est porté sur l’Histoire est tout à fait éclairant : elle n’apparaît qu’épisodiquement mais elle est le personnage principal du roman puisqu’elle fait et défait les destinées qui le traversent. Je suis sortie de ce livre vraiment enthousiaste : impressionnée, admirative et satisfaite de cette lecture.

Note :

Nancy Huston (1953) – Franco-canadienne
481 pages – 2006 – ISBN : 978-2-7427-6259-0