Résumé :

A dix-sept ans, Effi est insouciante et vit des jours heureux à Hohen-Cremmen avec ses parents. Quand le baron Innstetten demande sa main, c’est l’occasion pour elle de faire un beau mariage et d’accéder à une condition enviée. Mais c’est aussi le début d’une nouvelle vie marquée par des contraintes auxquelles sa jeunesse ne l’a guère préparée.

Extrait :

“J’ai cette faute sur mon âme”, reprit-elle. “Oui, je l’ai. Mais pèse-t-elle réellement sur mon âme ? Non. Et c’est bien pourquoi je m’effraie de moi-même. Ce qui pèse là, c’est tout autre chose – l’angoisse, une angoisse mortelle, et cette peur éternelle : cela finira bien par être révélé au grand jour. Et puis, outre l’angoisse… la honte. J’ai honte. Mais de même que je ne ressens pas de repentir véritable, je n’éprouve pas de honte véritable. J’ai honte, simplement, de ces perpétuelles tromperies et tricheries ; j’avais toujours été fière de ne pas être capable de mentir et, aussi, de ne pas en avoir besoin – mentir, c’est si commun – et voilà qu’il m’a fallu mentir sans cesse, devant lui et devant tout le monde, dans les grandes comme dans les petites choses, et Rummschüttel l’a bien vu qui a haussé les épaules, et Dieu sait ce qu’il pense de moi, pas ce qu’il y a de mieux en tout cas. Oui, c’est l’angoisse qui me torture et, en plus, la honte à cause de mon  manège. Mais, de la honte pour ma faute, je n’en éprouve pas, ou, au moins pas comme il le faudrait, ou pas suffisamment, et de ne pas l’éprouver, c’est cela qui me tue. Si toutes les femmes sont ainsi, alors c’est effroyable, et si ce n’est pas le cas, ce que j’espère, alors c’est pour moi que cela va mal, alors il y a quelque chose dans mon âme qui n’est pas comme il faut, alors je ne possède pas le sentiment véritable.

Avis :

On considère souvent Effi Briest comme la Madame Bovary allemande. Il est vrai qu’on retrouve de l’ennui d’Emma dans l’existence que mène Effi. Mais l’écriture de Fontane se différencie de celle de Flaubert en ce qu’elle est moins empreinte d’ironie. L’héroïne de Fontane nous attendrit par sa jeunesse et apparaît comme une victime de sa condition sociale, et plus généralement de la condition des femmes au XIXe siècle (comme Emma, me direz-vous, mais pourtant pas tout à fait). L’écriture est ici marquée par un art maîtrisé de l’ellipse, qui confère au livre une grandeur pathétique renforcée par les traces d’un romantisme évoqué sur le mode de la nostalgie. Il faut presque lire entre les lignes pour saisir toute la mélancolie qui émane de ces pages. S’il ne se passe pas grand chose, le livre acquiert progressivement une densité profondément touchante et qui m’a beaucoup émue. Tout passe par les non-dits et c’est presque plus efficace que le plus vibrant des plaidoyers. C’est un livre qui n’est pas forcément facile d’accès et qui nécessite sans doute une recontextualisation historique pour en saisir pleinement les enjeux, mais c’est un effort qui en vaut la peine.

Note :

Theodor Fontane (1819-1898) – Allemand
264 pages – 1895 – ISBN : 978-2-221-07546-3