Résumé :

Au cours de la seconde guerre mondiale, la Pologne est envahie par les nazis et les Soviétiques. Alors que les juifs d’Europe sont en train d’être exterminés, Jan Karski, messager de la résistance polonaise, entre clandestinement dans le ghetto de Varsovie pour témoigner auprès des alliés de ce qu’il a vu. Il alerte les anglais et les américains mais doit faire face à l’impassibilité des dirigeants qu’il rencontre. Trente-cinq ans plus tard, il se confie dans le film de Claude Lanzmann, Shoah et se demande pourquoi les alliés ont laissé faire l’extermination des juifs d’Europe.

Extrait :

J’étais très loin des victimes, j’étais parmi les vivants, dans le monde homicide, et je m’accrochais à la vie. Je n’étais pas un bourreau pourtant, alors qui étais-je ? Personne n’échappe à cette abjection qui partage les hommes entre ceux qui meurent et ceux qui donnent la mort. Toute ma vie, j’ai essayé de sortir de ce partage, de faire un saut loin de ceux qui accompagnent le meurtre, loin des vivants qui sont à côté quand ça a lieu. Car il y a les victimes, il y a les bourreaux, mais il y a également ceux qui sont à côté, et qui assistent à la mise à mort . Ce sont les mêmes qui toujours vous font croire qu’il ne s’est rien passé, qu’ils n’ont rien vu, qu’ils ne savent rien. D’ailleurs, si quelqu’un vient leur parler de crime, ils prétendront ne pas le croire. Que vous soyez à trois mètres du poteau d’exécution, ou à des milliers de kilomètres, la distance est la même. Car à partir du moment où un vivant éprouve sa distance avec un homme qu’on met à mort, il fait l’expérience de l’infamie. La distance qui nous sépare des hommes qui meurent s’appelle l’infamie ; et vivre n’est jamais qu’une manière de se confronter à cette distance.

Avis :

Dès les premières lignes de ce livre, j’ai vraiment eu l’impression d’avoir dans les mains un texte très fort, très puissant. Le livre est divisé en 3 parties. La première est une présentation du témoignage de Karski dans le film “Shoah” ; la deuxième est un résumé du livre écrit par Karski sur son histoire ; la troisième est une fiction qui s’appuie sur des éléments de la vie de Karski. Dans la troisième partie on ne sait pas vraiment ce qui est vrai ou ce qui ne l’est pas mais je pense que l’analyse de Haenel est très brillante et très intelligente, aussi je ne pense pas que cette partie soit une abjection en ce sens où Haenel prend la parole pour Karski mais, qu’au contraire, il a cherché à traduire le plus sincèrement possible les sentiments que Karski a dû ressentir.
Je pense que c’est une lecture dont on ne sort pas vraiment indemne. On a beau connaître assez bien l’histoire de ce génocide, on a beau savoir que les alliés n’ont rien fait, chaque lecture sur ce sujet est bouleversante. Ici, on en apprend beaucoup sur le peuple Polonais et en particulier sur la résistance polonaise pendant la guerre. C’est un témoignage très beau qui a le mérite de rester particulièrement neutre, il ne cherche pas à attendrir mais juste à dire ce qui s’est passé, rien de plus et rien de moins.
C’est un livre magnifique, qui n’a rien à voir avec Cercle. Haenel a fait un très beau travail et a réussi avec brio à mélanger roman, essai et biographie.

Note :

Prix Interallié 2009
Yannick Haenel (1967) – Français
187 pages – 2009 – ISBN : 978-2-07-012311-7