Samuel Beckett – Molloy
Résumé :
Le livre se divise en deux parties racontées par deux narrateurs différents. Dans la première, le monologue intérieur de Molloy nous fait entrevoir un personnage étrange marqué par une dégradation physique de plus en plus grande et dont la pensée en apparence cohérente,sur le papier témoigne d’un état mental dérangé (et dérangeant pour le lecteur), il erre dans la ville puis dans la forêt à la recherche de sa mère. Ses conditions de vie pitoyables restent assez obscures et ne sont livrées au lecteur que par bribes. Dans la seconde partie du livre, Jacques Moran est chargé d’une mission : retrouver Molloy. Il part donc en expédition dans la forêt avec son fils pour ce qui ressemble à une enquête top-secrète mais qui apparaît très vite comme une quête absurde, Moran n’arrivant plus à se souvenir pourquoi il recherche Molloy . Mais les destinées des deux protagonistes paraissent pourtant de plus en plus semblables.
Extrait :
J’avais commencé au commencement, figurez-vous, comme un vieux con. Voici mon commencement à moi. Ils vont quand même le garder, si j’ai bien compris. Je me suis donné du mal. Le voici. Il m’a donné beaucoup de mal. C’était le commencement, vous comprenez. Tandis que c’est presque la fin, à présent. C’est mieux, ce que je fais à présent ? Je ne sais pas. La question n’est pas là. Voici mon commencement à moi. Ca doit signifier quelque chose pour qu’ils le gardent. Le voici.
Cette fois-ci, puis encore une je pense, puis c’en sera fini je pense, de ce monde-là aussi. C’est le sens de l’avant-dernier. Tout s’estompe. Un peu plus et on sera aveugle. C’est dans la tête. Elle ne marche plus, elle dit, Je ne marche plus. On devient muet aussi et les bruits s’affaiblissent. A peine le seuil franchi c’est ainsi. C’est la tête qui doit en avoir assez. De sorte qu’on se dit, J’arriverai bien cette fois-ci, puis encore une autre peut-être, puis ce sera tout. C’est avec peine qu’on formule cette pensée, car c’en est une, dans un sens. Alors on veut faire attention, considérer avec attention toutes ces choses obscures, en se disant, péniblement, que la faute en est à soi. La faute ? C’est le mot qu’on a employé. Mais quelle faute ? Ce n’est pas l’adieu, et quelle magie dans ces choses obscures auxquelles il sera temps, à leur prochain passage, de dire adieu. Car il faut dire adieu, ce serait bête de ne pas dire adieu, au moment voulu. Si l’on pense aux contours à la lumière de jadis c’est sans regret. Mais on n’y pense guère, avec quoi y penserait-on ? Je ne sais pas.
Avis :
J’ai eu un mal fou à entrer dans l’histoire. Les longs monologues glauques de plus de 140 pages et qui ne sont jamais aérés par la présence de paragraphes me paraissent en effet bien peu attrayants à première vue. En outre, l’atmosphère est extrêmement malsaine puisque le personnage paraît complètement enlisé dans un corps qui ne cesse de se dégrader tandis que sa pensée n’est guère plus reluisante. J’avoue donc que je me suis un peu forcé pour trouver le courage de continuer… La seconde partie (un peu plus aérée, Dieu merci) m’a paru un poil moins rebutante mais l’atmosphère glauque à souhait est toujours omniprésente. Bien qu’elle ne nous apporte pas de réponses, la fin a le mérite de nous amener à cogiter. C’est donc ce que je retiendrai de plus positif dans ce bouquin, puisque malgré tout, Beckett nous donne encore une fois à penser la condition humaine par le biais de son univers, si particulier et si reconnaissable. Je ne conseillerai donc ce livre qu’aux lecteurs déjà un peu connaisseurs de l’univers beckettien. Je préfère de loin ses pièces de théâtre qui permettent aussi d’apprécier mieux ce roman dans la mesure où il permet d’établir des ponts entre les oeuvres. Mais surtout, ne commencez pas Beckett par ce livre, ça risquerait de vous en dégoûter et vous passeriez à côté d’un grand auteur. Espérons que ses autres romans me feront une impression plus favorable.
Note :
Samuel Bekett (1906-1989) – Irlandais
272 pages – 1951 – ISBN : 2-7073-0628-2
décembre 15th, 2009 à 10:47
j’ai bien aimé l’extrait!
décembre 15th, 2009 à 13:44
Inès : Ce qu’il y a de troublant justement avec Beckett, c’est que l’écriture est vraiment envoûtante. Même si ce sont de longs monologues très denses, parfois on se laisse porter. Et même si la réflexion a tendance à partir dans tous les sens, il y a toujours des phrases qui retentissent avec une certaine profondeur, et qui font écho chez le lecteur.
Actuellement, je lis un autre roman de Beckett, et je me rends compte que c’est aussi et surtout en relation les uns avec les autres qu’il faut envisager les textes de Beckett. Mais ça reste plutôt obscur malgré tout (et je suis bien persuadée que c’est volontaire).
décembre 15th, 2009 à 17:53
Dur-dur aussi les Editions de Minuit.
décembre 16th, 2009 à 11:42
[...] c’est un peu trop démoralisant pour que mon état actuel me le permette. En tout cas, après Molloy, on découvre un univers qui n’est pas beaucoup plus réjouissant. On ne sait pas trop si [...]
décembre 17th, 2009 à 14:54
lire Beckett, c’est toujours souffrir infinitésimalement. l’étude de l’écriture beckettienne ne mène nul part. on tatonne toujours, mais on ne cesse jamais de lire ses oevres romanesques,et ses pièces théâtrales. la souffrance dont je parle, est celle qui mène au plaisir de la découverte de quelque chose, du rien…
c’est paradoxal, mais c’est comme ça.
décembre 17th, 2009 à 15:01
lire Beckett, c’est toujours souffrir infinitésimalement. l’étude de l’écriture beckettienne ne mène nul part. on tâtonne toujours, mais on ne cesse jamais de lire ses oeuvres romanesques,et ses pièces théâtrales. la souffrance dont je parle, est celle qui mène au plaisir de la découverte de quelque chose, du rien…
c’est paradoxal, mais c’est comme ça.
décembre 13th, 2011 à 23:40
le commentaire d’hana njima est très juste…
quant à “molloy”, il doit être envisagé comme le premier tome de la trilogie “molloy/malone meurt/l’innommable”. certes, de prime abord, sa lecture n’est point aisée… et alors ? beckett réussit là un sacré tour de force… celui de l’épuisement du langage…
avril 2nd, 2012 à 22:05
Je viens tout juste de finir la lecture de Molloy, ma deuxième rencontre avec Beckett après En attendant Godot, quelques années auparavant.
Comme justement précisé par Violaine, il semble que l’oeuvre de Beckett soit plus profondément saisie quand on peut mettre en résonance plusieurs ouvrages, de plusieurs styles.
Pourtant, d’un point de vue très personnel, j’ai préféré Molloy à Godot, de loin. L’expérience du monologue qu’offre Molloy m’a paru beaucoup plus intense et sans doute moins absurde. La densité de l’écriture plonge dans une sorte de transe, parfois pénible et monotone comme la lente sénescence de ses personnages, une douleur lancinante d’où émergent avec d’autant plus de clarté des phrases tranchantes, des pensées vertigineuses qui m’ont sacrément bouleversée.
“De cette vie là aussi j’aurais peut-être la bonté de vous entretenir un jour, le jour où je saurai qu’en croyant savoir je ne faisais qu’exister et que la passion m’aura mangé jusqu’au chairs putrides et qu’en sachant cela je ne sais rien, que je ne fais que crier comme je n’ai fait que crier, plus ou moins fort, plus ou moins ouvertement.”