Résumé :

En 2006, l’art le plus en vogue met en scène des tableaux humains : il s’agit de l’hyperdramatisme dont le plus célèbre représentant est le maître hollandais Bruno van Tysch. Les individus qui veulent devenir des tableaux sont prêts à tous les sacrifices pour accéder au rang d’œuvres d’art : c’est le rêve le plus cher de Clara Reyes, embauchée par un peintre très important mais dont elle ignore encore l’identité. Mais quand un psychopathe s’attaque à deux des tableaux les plus précieux du maître, l’équipe en charge de la sécurité des œuvres a fort à faire pour attraper celui qu’ils ont surnommé l’Artiste et qui met en danger la prochaine exposition de van Tysch, Rembrandt, qui doit être inaugurée prochainement à Amsterdam.

Extrait :

L’horrible.
Il était à sa droite. Un geste léger, une ombre mobile illuminée par la clarté du seuil. Elle tourna sur elle-même avec un calme inédit. Le degré d’horreur qu’elle éprouvait était parvenu à son maximum (elle se sentait sur le point de hurler), ce qui signifiait qu’elle avait enfin découvert l’horrible et qu’elle s’apprêtait à le contempler.
C’était une fillette. Une fillette qui vivait au grenier. Elle portait un ensemble bleu marine de Lacoste et avait les cheveux lâches et très bien coiffés. Sa peau semblait de marbre. On aurait dit un cadavre. Mais elle bougeait. Elle ouvrait la bouche, la refermait. Elle battait intensément des paupières et elle la regardait.
La terreur lui traversa la peau. Son cœur devint une souris et elle le sentit grimper à l’aveuglette à l’intérieur de sa poitrine jusqu’à lui obstruer la gorge. Ce fut un instant de terrifiante éternité, une fraction de seconde fugace et définitive, comme l’instant de notre mort.
En quelque sorte, d’une façon inexplicable mais puissante, elle sut à cet instant précis que cette fillette était la vision la plus terrifiante qu’elle eût jamais contemplée et qu’elle contemplerait jamais. Ce n’était pas seulement horrible, mais infiniment insupportable.
(Cependant, sa joie ne connaissait pas de limites. Elle contemplait enfin l’horrible. Et l’horrible était une fillette de son âge. Elles pourraient être amies et jouer ensemble.)
Elle s’aperçut alors que le vêtement Lacoste était celui que sa mère lui avait mis ce dimanche, que la coiffure était semblable à la sienne, que les traits étaient les siens, que le miroir était grand et que son cadre était dissimulé dans la pénombre.
-C’était une frayeur stupide, lui dit sa mère, qui était accourue en l’entendant crier et la tenait dans ses bras.

Avis :

J’ai trouvé ce livre tout à fait passionnant. L’auteur nous plonge dans un monde artistique qui a sombré dans la folie, mais de façon très troublante, il nous fait entrevoir et – jusqu’à un certain point – partager cette folie. La réflexion sur l’art qui s’écrit en filigrane tout au long du roman n’est pas totalement déconnectée de la réalité : j’ai été pleinement gagnée par la fascination qu’engendrent les tableaux de van Tysch. De la même façon, ce rêve que les toiles (c’est ainsi qu’on appelle les individus qui font le métier de tableaux) ont d’accéder à l’éternité a un côté profondément humain, ou du moins compréhensible pour n’importe quel artiste. Placez ces ingrédients dans le cadre d’un thriller haletant et angoissant, et vous aurez une vague idée de la portée envoûtante de ce roman. Une fois qu’on a goûté à l’atmosphère, on ne veut plus le lâcher et on se fait balader comme il se doit jusqu’à la fin. C’est très réussi et d’autant plus fascinant que la réflexion sur la frontière entre l’art et l’humain pose des questions auxquelles le livre s’abstient bien de répondre. J’avais aimé La dame n°13 du même auteur, et ça me donne très envie de continuer à le découvrir. Du grand art !

Emilie a beaucoup apprécié la maîtrise de l’auteur ainsi que la réflexion sur l’art et sur l’homme présente dans ce roman. Emeraude a trouvé ce roman dérangeant mais excellent.

Note :

José Carlos Somoza (1959)  – Espagnol
638 pages – 2003 – ISBN : 2-290-34219-X