Résumé :

Dans ce livre, Robbe-Grillet se soumet aux lois du genre autobiographique, tout en prenant plaisir à les subvertir, en en soulignant les limites avec humour et pertinence. Il revient aussi sur son oeuvre littéraire et cinématographique, qu’il éclaire par le récit de souvenirs d’enfance, il retrace l’histoire de sa famille, des livres qui l’ont influencé… Entre récit de vie et reconstruction fictive de soi, le livre adopte plutôt la forme de l’essai. Robbe-Grillet en profite aussi pour faire le point sur les critiques qui ont pu lui être adressées et pour s’expliquer sur sa démarche artistique plutôt complexe.

Extrait :

C’est notre mère, bien entendu, qui nous a appris à lire et à écrire, et à compter, et à parler correctement. Les petites classes ont donc été faciles pour nous. D’ailleurs, bien que de tempérament rêveur et contemplatif, ce qui est une forme de paresse, j’ai toujours aimé apprendre. Cela fait partie, sans aucun doute, d’un vaste désir de posséder le monde (avoir pour être), au même titre que les collections de timbres, plantes ou objets divers, la manie de ranger tout en bon ordre, l’impossibilité de jeter quoi que ce soit, l’habitude de prendre des diapositives par centaines (classées ensuite dans des boîtes pour projection) à chaque nouveau pays parcouru, ou bien de retenir par cœur la plus grande quantité possible des poésies ou pages en prose que j’aime. C’est là une illusion fréquente : l’instinct d’amasser (du savoir comme n’importe quoi d’autre) fait partie de la volonté de puissance, ce qui revient à dire de simple survie. Plus tard seulement, beaucoup plus tard, on s’aperçoit que les choses acquises se situent du côté de la mort.

Avis :

Un livre que j’ai trouvé tout à fait passionnant. Robbe-Grillet montre ici qu’il est un grand penseur, il s’attache à resituer son oeuvre dans une démarche que la critique n’a pas toujours comprise, dans un style qui oscille entre l’humour et la réflexion existentielle. Pleinement conscient de l’échec auquel est vouée l’entreprise autobiographique, il joue sur l’évocation des souvenirs, n’hésite pas à les recomposer en y insérant une bonne dose de fiction, notamment avec l’évocation du personnage d’Henri de Corinthe, mystérieux ami de son père dont il ne garde que des images floues mais dont le spectre hante le récit, jusqu’à l’amener aux limites du fantastique.

Note :

Alain Robbe-Grillet (1922-2008) – Français
227 pages – 1985 – ISBN : 2-7073-1007-7