Résumé :

“Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais.” Cette phrase du livre est sans conteste celle qui résume le mieux ce roman autobiographique. Il relate en effet la jeunesse du narrateur, pour qui sa mère a de grandes ambitions : “Tu seras un héros, tu seras général, Gabriele d’Annunzio, Ambassadeur de France”. C’est pourtant la figure maternelle qui est la véritable héroïne du livre : le vibrant hommage qui lui est rendu n’est dépourvu ni d’humour, ni d’émotion. Et c’est avec un regard attendri sur l’enfant qu’il était que l’auteur adulte évoque cette mère dont, tout au long de son existence, il a travaillé à réaliser les rêves.

Extrait :

Ce fut ainsi que je fis connaissance avec l’absolu, dont je garderai sans doute jusqu’au bout, à l’âme, la morsure profonde, comme une absence de quelqu’un. Je n’avais que neuf ans et je ne pouvais guère me douter que je venais de ressentir pour la première fois l’étreinte de ce que, plus de trente ans plus tard, je devais appeler “les racines du ciel”, dans le roman qui porte ce titre. L’absolu me signifiait soudain sa présence inaccessible et, déjà, à ma soif impérieuse, je ne savais quelle source offrir pour l’apaiser. Ce fut sans doute ce jour-là que je suis né en tant qu’artiste ; par ce suprême échec que l’art est toujours, l’homme, éternel tricheur de lui-même, essaye de faire passer pour une réponse ce qui est condamné à demeurer comme une tragique interpellation.
Il me semble que j’y suis encore, assis, dans ma culotte courte, parmi les orties, la bouteille magique à la main. Je faisais des efforts d’imagination presque paniques, car je pressentais déjà que le temps m’était strictement compté ; mais je ne trouvais rien qui fût à la mesure de mon étrange besoin, rien qui fût digne de ma mère, de mon amour, de tout ce que j’eusse voulu lui donner. Le goût du chef-d’œuvre venait de me visiter et ne devait plus jamais me quitter. Peu à peu, mes lèvres se mirent à trembler, mon visage fit une grimace dépitée et je me mis à hurler de colère, de peur et d’étonnement.
Depuis, je me suis fait à l’idée et, au lieu de hurler, j’écris des livres.

Avis :

Un livre qui attendait depuis longtemps dans ma bibliothèque et dont la lecture d’un extrait dans le film La tête en friche m’a convaincu d’aller y  mettre mon nez. Ça a été une très belle découverte, et moi qui avais adoré Les enchanteurs et La vie devant soi, je dois reconnaître que j’ai là encore été séduite. Romain Gary a une plume extraordinaire, il sait nous faire osciller sans cesse entre le rire et les larmes, il donne l’impression de mener son lecteur en bateau tout en faisant preuve d’un regard critique sur les choses à la fois très plaisant et très touchant. C’est avec un talent incroyable qu’il mêle la réalité et la fiction et je ne crois pas qu’on ait écrit de livres aussi beaux sur ce thème. Si je prends Le livre de ma mère d’Albert Cohen par exemple, c’est un ouvrage de facture  plus classique et d’une certaine manière beaucoup plus banal ; alors que Romain Gary n’hésite sans doute pas à forcer le trait à de nombreuses reprises, mais on mesure alors toute l’influence que sa mère a pu avoir sur son existence de façon beaucoup plus subtile et poignante. Et puis le style de Gary reste empreint d’un optimisme communicatif : la naïveté assumée du propos le dispute à tout le recul nécessaire qu’il a dû prendre pour rendre possible un tel récit. Le résultat atteint un équilibre parfait et une qualité d’écriture qui fait mouche. Mises à part quelques longueurs que j’ai ressenties au cours de la troisième partie, je ne peux que vous conseiller cette très belle lecture.

Note :

Romain Gary (1914-1980) – Français d’origine Polonaise
371 pages – 1960 – ISBN : 978-2-07036-373-5