Résumé :

Il y a plus de 20 ans, un des plus chers amis d’Edouard Levé se suicidait, âgé seulement de 25 ans. Edouard Levé dresse un hommage à cet ami ainsi qu’une profonde réflexion sur le suicide et la mort.

Extrait :

Un samedi au mois d’août, tu sors de chez toi en tenue de tennis accompagné de ta femme. Au milieu du jardin, tu lui fais remarquer que tu as oublié ta raquette à la maison.Tu retournes la chercher, mais au lieu de te diriger vers le placard de l’entrée où tu la ranges d’habitude, tu descends à la cave. Ta femme ne s’en aperçoit pas, elle est restée dehors, il fait beau, elle profite du soleil. Quelques instants plus tard, elle entend la décharge d’une arme à feu. Elle accourt à l’intérieur de la maison, elle crie ton nom, remarque que la porte de l’escalier qui conduit vers la cave est ouverte, y descend et t’y trouve. Tu t’es tiré une balle dans la tête avec le fusil que tu avais soigneusement préparé. Tu as laissé sur la table une bande dessinée ouverte surune double page. Dans l’émotion, ta femme s’appuie sur la table, le livre bascule en se refermant sur lui-même avant qu’elle ne comprenne que c’était ton dernier message. [...]
Ta femme pousse un cri. Personne d’autre que toi n’est là pour l’entendre. Vous êtes seuls dans la maison. Elle se jette sur toi en pleurant, et frappe ton buste d’amour et de rage. Elle te prend dans ses bras et te parle. Elle sanglote et s’abat sur toi. Ses mains glissent sur le sol froid et humide de la cave. Ses doigts raclent la terre. Elle reste un quart d’heure et sent ton corps se refroidir. Le téléphone la sort de sa torpeur. Elle trouve la force de remonter. C’est la personne avec qui vous aviez rendez-vous au tennis. « Allô, que se passe-t-il ? Je vous attends. » « Il est mort. Mort », répond-elle.
La scène s’arrête là. Qui a enlevé le corps ? Les pompiers, la police ? Un médecin légiste l’a-t-il autopsié, puisqu’un suicide peut être un assassinat déguisé ? Y eut-il enquête ? Qui a décidé que ce suicide en était un, et pas un crime ? A-t-on interrogé ta femme ? Lui a-t-on parlé avec délicatesse ou l’a-t-on suspectée ? La douleur de la suspicion s’est-elle ajoutée à celle de ta disparition ?
Je n’ai pas revu ta femme, je la connaissais à peine. Je l’ai rencontrée quatre ou cinq fois. Quand vous vous êtes mariés, nous ne nous fréquentions plus. Je revois son visage. Cela fait vingt ans qu’elle a le même. L’image que j’ai gardée d’elle s’est figée la dernière fois où je l’ai vue. La mémoire, comme les photos, gèle les souvenirs.

Avis :

Ce livre a été pour moi l’une des nombreuses très belles découvertes du festival “Paris en toutes lettres”. Florent Marchet en a lu un extrait et j’ai tout de suite eu envie de lire la suite. Ce livre est très poignant. Déjà par son sujet mais aussi parce qu’Edouard Levé l’a déposé chez son éditeur 3 jours avant de se donner la mort. S’il ne parle pas du tout de son projet dedans, on ne peut s’empêcher pour autant d’y voir un message.
Edouard Levé évoque donc ici le suicide de l’un de ses amis qui a eu lieu il y a plus de 20 ans. Le “Tutoiement” employé dans ce livre marque tout de suite un style particulier qui apporte un côté très personnel au livre qui peut difficilement laisser insensible. Ce n’est pas seulement un hommage de son ami, c’est aussi une profonde réflexion sur la mort et sur l’acte du suicide. J’ai trouvé ce livre vraiment très beau, très touchant aussi bien sûr. Il ne ressemble à aucun des livres que j’ai pu lire jusqu’à présent.

Note :

Edouard Levé (1965-2007) – Français
124 pages – 2008 – ISBN : 978-2-84682-236-7