Roland Barthes – La chambre claire : Note sur la photographie
Résumé :
Dans cet essai, Roland Barthes s’interroge sur la photographie, non pas en tant que photographe, mais du point de vue du spectateur. Il tente ainsi de déterminer ce qu’est la photographie « en soi » et ce qui précisément le touche lorsqu’il regarde une photo. Il dégage ainsi deux phénomènes constants de ces observations : il appelle studium le sentiment qui s’empare de lui à la vue d’une photo (il s’agit de l’intérêt général qu’il éprouve pour une image, l’expression d’un goût déterminé par la culture et la sensibilité et dont le mouvement va de la photo vers le spectateur) ; il évoque ensuite le punctum qui « vient casser (ou scander) le studium » et qui, à l’inverse, part de la photo pour venir percer le spectateur (il s’agit d’un sentiment se rapportant à quelque chose de précis, souvent indéfinissable – presque d’ordre psychanalytique – qui diffère pour chaque spectateur en ce qu’il se rapporte à quelque chose d’enfoui), le punctum est ce qui confère à la photo toute sa valeur pour le spectateur, puisqu’il entraîne le sujet observant au-delà de la simple expérience passive de spectator.
Extraits :
Au fond – ou à la limite – pour bien voir une photo, il vaut mieux lever la tête ou fermer les yeux. « La condition préalable à l’image, c’est la vue », disait Janouch à Kafka. Et Kafka souriait et répondait : « On photographie des choses pour se les chasser de l’esprit. Mes histoires sont une façon de fermer les yeux. »La photographie doit être silencieuse (il y a des photos tonitruantes, je ne les aime pas) : ce n’est pas une question de « discrétion », mais de musique. La subjectivité absolue ne s’atteint que dans un état, un effort de silence (fermer les yeux, c’est faire parler l’image dans le silence). La photo me touche si je la retire de son bla-bla ordinaire : (…) ne rien dire, fermer les yeux, laisser le détail remonter seul à la conscience affective.
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On dit souvent que ce sont les peintres qui ont inventé la Photographie (en lui transmettant le cadrage, la perspective albertinienne et l’optique de la camera obscura). Je dis : non, ce sont les chimistes. Car le noème « Ca a été » n’a été possible que du jour où une circonstance scientifique (la découverte de la sensibilité à la lumière des halogénures d’argent) a permis de capter et d’imprimer directement les rayons lumineux émis par un objet directement éclairé. La photo est littéralement une émanation du référent. D’un corps réel, qui était là, sont parties des radiations qui viennent me toucher, moi qui suis ici ; peu importe la durée de la transmission ; la photo de l’être disparu vient me toucher comme les rayons différés d’une étoile. Une sorte de lien ombilical relie le corps de la chose photographiée à mon regard : la lumière, quoique impalpable, est bien ici un milieu charnel, une peau que je partage avec celui ou celle qui a été photographié.
Avis :
Un essai très intéressant et accessible, parce que Roland Barthes part d’une expérience que tout un chacun a pu faire dans sa vie et dont il prend plaisir à analyser les composantes. Bon, ça reste quand même du Roland Barthes, qui montre un goût prononcé pour les concepts, qui aime à apposer sur ces concepts des noms latins, ce qui peut être assez agaçant (mais je vous assure que si c’est le premier livre de Barthes que vous lisez, il faut vous réjouir car il reste d’une lisibilité étonnante comparé à d’autres). Barthes est remarquablement intelligent et réussit à rendre universelle une expérience personnelle ; le livre recèle de très jolis passages, notamment à propos d’une photographie de sa mère enfant et amorce aussi une réflexion tout à fait édifiante sur la vérité et la réalité ainsi que sur le rapport au temps.
En ce qui me concerne, je reste assez partagée à propos de cet auteur remarquable dont le style reste souvent difficile d’accès, mais je profite de cet article pour vous conseiller vivement la lecture des Fragments d’un discours amoureux, ouvrage tout à fait original et d’une force extraordinaire qu’il ne faut manquer sous aucun prétexte.
Note :
Roland Barthes (1915-1980) – Français
184 pages – 1979 – ISBN : 978-2-07-020541-7
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