Richard Bohringer – Zorglub
Résumé :
Simon vit depuis vingt ans dans un square. Vingt ans où il attend la femme qui parviendra à soulager sa tristesse. Dans ce parc, aujourd’hui, il y a aussi Stéphane, un bouquet à la main, à la même place que Simon vingt ans plus tôt.
Extrait :
SIMON
Pendant ces… vingt ans, j’ai cherché comme un fou un visage à découvrir, un visage silencieux à aimer. J’ai cherché des larmes autres que celles du désespoir, autres que celles de l’impuissance, autres que celles de la solitude. (Un temps.) Eh ben, c’est les miennes qu’ont foutu la pagaïe sur la gueule, même que c’jour-là, elles étaient pas salées. P’être bien parce que j’avais trop attendu et qu’y pleuvait. Trop attendu une petite vendeuse qui, paraît-il, sont les êtres les plus romantiques et les plus sentimentaux. Qu’est-ce qu’elle y a gagné ? Rien… J’suis sûr qu’elle est toujours derrière son comptoir… Peut-être qu’un jour tu liras sur l’journal qu’un homme a fait exploser tous les squares de la ville. Tu peux être sûr que ce sera moi… Les squares, c’est comme les greniers, trop de souvenirs, trop de vieillesse, trop d’inconfort, trop d’amères petites économies… (Un temps.) C’est pour ça que ta Douce viendra pas. Elle a envie de vivre… Les femmes ont beaucoup plus envie d’vivre que les hommes. Fais une croix sur elle et n’y pense plus…
STEPHANE, doucement.
Elle viendra. J’en suis sûr. Nous devons nous marier la semaine prochaine.
Simon le regarde stupéfait. Un long temps… puis :
SIMON
Pauv’pom’… Pauv’pom’… T’irais jusque-là. T’as poussé ta lâcheté jusqu’à lui proposer le mariage !… Le mariage !… Hein, pauv’pom’, t’es fier ! C’est ta réussite sociale ! C’était donc ça ! Et elle ? Elle s’est empressée d’accepter, j’en suis sûr. T’as dû en faire, en dire pour qu’elle finisse par accepter, du bout des lèvres, ta misérable fin… (Un temps.)… Tiens, j’vais te raconter deux histoires : Un jour, dans ce square, sur le banc d’en face, y avait une jeune fille. A l’époque, j’n'étais pas trop sale encore. J’me suis approché d’elle et j’lui ai dit que j’étais un ami de son fiancé. J’suis tombé pile, elle avait un fiancé et, sur ce banc, elle l’attendait… Après quelques paroles elle finit par me dire qu’elle avait un peu d’avance. Ca tombait pile pour c’que j’voulais vérifier. Eh bien, figure-toi que, pendant une heure, j’lui ai fait croire que j’étais un ami intime de son Jules… Nous avons parlé de lui. J’me souviens. J’donnais des détails qui ne pouvaient, s’ils étaient vrais, être connus que de ses intimes. Sais-tu ce qu’elle me disait ?… “Comme vous le connaissez bien…” Tu te rends compte ! Moi, un étranger, j’avais fini par lui réinventer son Jules. Qu’est-ce que tu penses de ça ?
STEPHANE, souriant.
Vous êtes intelligent…
SIMON
Intelligent… Pauv’pom’, j’suis le plus intelligent de tous les habitants extra-muros de ce square. Mais, dedans, j’suis qu’une bête, mais une bête qui en a vu, pendant ses longues nuits sans sommeil…
Avis :
Je ne connaissais pas Richard Bohringer l’écrivain et c’est donc piqué par la curiosité que je me suis lancé dans cette lecture. On pourrait croire, du fait qu’elle ait été écrite pendant la jeunesse de l’auteur, que cette pièce souffre d’un manque de talent. Pourtant, j’ai vraiment été charmé et je crois que la jeunesse s’affiche ici comme un réel atout. On retrouve en effet beaucoup d’émotions dans ce texte, un mélange d’espoir, d’une profonde désillusion ainsi que d’un certain pessimisme sur la nature humaine.
Dès les premières lignes, j’ai tout de suite pensé au roman de Marguerite Duras, Le square. Les deux auteurs semblent partager la même vision du square : un lieu d’échanges, de passage et de discussions, un lieu pour refaire le monde. Lorsque Duras résume son livre, elle dit “C’était aussi de temps en temps, au hasard d’une rencontre, PARLER. Parler du malheur qui leur était commun et de leurs difficultés personnelles [...] sans quoi, disaient ces gens, ils n’auraient pas pu survivre à leur solitude”. Dans ces deux textes on retrouve cette déréliction et ce profond besoin de parler.
Et pourquoi Zorglub ? Ce mot étrange qui n’apparait qu’à la toute fin de la pièce et dont on ne comprend pas grand chose ? Il se trouve que Zorglub est un personnage apparu à la fin des années 50 dans Spirou et Fantasio. C’est un savant-fou utilisé par Franquin pour se moquer du progrès, des individus robotisés et conditionnés. Je doute qu’il y ait une simple coïncidence derrière ces deux noms !
Zorglub est donc une pièce de théâtre assez pessimiste mais que j’ai malgré tout beaucoup appréciée : elle présente l’avantage de nous faire cogiter sur notre rapport aux autres, et c’est toujours bon à prendre !
Note :
Richard Bohringer (1942) – Français et Sénégalais
107 pages – 1966 – ISBN : 978-2-0812-2542-8
janvier 26th, 2011 à 20:20
J’ai lu, à sa sortie, “C’est beau une ville la nuit” et j’en garde un très bon souvenir. Ton billet me donne envie de découvrir cette pièce.