Claudie Gallay – Mon amour ma vie
Résumé :
Dan s’est installé avec ses parents et ses oncles sur un terrain vague en bordure du périphérique. Alors que leur cirque tombe en ruine, le père perd tout son argent aux jeux et Dan erre souvent seul et livré à lui-même. Le seul être auprès duquel il trouve du réconfort est Tamya, sa guenon. Il n’a qu’un rêve, comme une idée fixe se détachant sur l’horizon gris de son existence : aller voir la mer.
Extrait :
Mam’, elle est dans mon soleil, ses jambes plantées dans sa jupe à volants.
Avec son pied elle me pousse et se couche sur le carton. Respirer avec Mam’, c’est mieux que tout. L’odeur de la terre, de l’essence, les pneus brûlés.
Quand Mam’ a bien respiré, elle étouffe d’amour. Elle me prend contre elle.
-Mon fils, ma vie.
Elle m’écrase.
Les camions klaxonnent parce qu’ils voient les cuisses de Mam’, sa jupe relevée. Ils voient sa beauté.
Je crois que si je ne bouge pas, rien ne changera. Que Mam’ ne s’en ira jamais.
Je crois aussi que quand on aime les gens, ils finissent par nous aimer.
-Foutaise ! elle dit Mam’.
Elle se lève, elle secoue sa jupe, ses cheveux.
-Tu pues !
Je sais. C’est la guenon. A force de dormir avec elle, je prends son odeur.
-Il faudrait voir à te laver.
Je ne réponds pas. Je baisse les yeux.
Avis :
J’ai mis un moment à entrer dans ce livre, peut-être parce qu’il parle d’un univers qui m’est totalement étranger, peut-être aussi à cause de son style parfois trop dépouillé. J’avais pourtant adoré Dans l’or du temps ; je ne peux pas dire que je n’ai pas aimé celui-ci, mais je l’ai trouvé nettement plus âpre. Le narrateur est le jeune Dan : on voit donc le monde à travers ses yeux et c’est très difficile de s’identifier à lui car il porte sur les choses un regard extrêmement singulier (j’ai d’ailleurs pensé qu’il était probablement autiste même si rien n’est dit à ce propos dans le livre). Sa vie est faite essentiellement de solitude et de violence : on a l’impression qu’il se heurte continuellement au monde, un monde dans lequel il peine à trouver ses repères et qui se dissout petit à petit en même temps que l’existence de la famille Pazzati se délite. Il y a pourtant des moments de poésie brute qui ressortent dans cette façon si particulière qu’a Dan de s’exprimer, dans la simplicité empreinte d’acuité de son regard. Au fil de ma lecture, je n’ai cessé d’osciller entre deux sentiments : dégoût et empathie. J’en ressors donc assez secouée et je m’étonne qu’à l’origine ce livre soit paru dans une édition jeunesse car il reste à mes yeux extrêmement glauque. Mais ça me donne envie de continuer à découvrir les livres de Claudie Gallay dont l’écriture ne me laisse définitivement pas indifférente.
A propos de livres a beaucoup aimé ce roman malgré son côté sombre.
Note :
Claudie Gallay (1961) – Française
297 pages – 2002 – ISBN : 978-2-7609-2969-2
mai 8th, 2010 à 21:21
C’est un roman écrit avant les succès de l’auteur. Pour son côté sombre, Gallay m’avait dit qu’elle avait dû écrire ce roman avant de passer à autre chose. Un roman cathartique en somme.
mai 9th, 2010 à 10:25
Leiloona : je ne savais pas du tout, et je te remercie pour ces informations. J’ai acheté “Seule Venise” récemment et j’ai très envie aussi de lire “Les déferlantes” (mais bon, pour le moment il faut préparer l’oral du CAPES donc je vais ralentir un peu dans mes lectures, à regret…)
mai 12th, 2010 à 7:50
intéressant cet univers du cirque
mai 13th, 2010 à 13:46
Je n’ai jamais rien lu de Claudie Gallay, donc ce que je vais dire ne vaut pas trois sous ; mais l’extrait que tu as mis en ligne me donne à voir un style haché de points très en vogue qui me laisse de marbre… A quand le retour du point-virgule!?
mai 23rd, 2010 à 9:20
Magda : Il est vrai que Claudie Gallay a un style très haché et tout particulièrement dans ce livre (où, je le reconnais, j’y ai été moins sensible). Mais je pense vraiment que contrairement à beaucoup d’auteurs dont le style “minimaliste” en vogue laisse de marbre, elle a un don pour exprimer les sentiments sans fioritures. En tout cas, “Dans l’or du temps” m’avait beaucoup plus convaincue et “Les déferlantes” me semble aussi très prometteur. Auteure à suivre…
août 12th, 2010 à 11:20
« Le remède à la peur et à l’insécurité ne se trouve pas dans une surenchère sécuritaire mais passe par une action de longue haleine nourrie de respect et de connaissance réciproques ». Est-ce que Claudie Gallay s’est attelée à ce vœu très pieux dans ce roman réaliste, aussi tranchant qu’un faisceau de haches, aussi sobre qu’un morceau de pain sec, a-t-elle décidé de nous monter une réalité que l’on se refuse à voir ?
Nous voilà au cœur d’une étoile à cinq branches, tombée dans un dépotoir, à côté de la vie. Nous découvrons d’un coup, par les yeux d’un enfant, une famille en cage, sous l’empire du mal et de la violence. Elle est cernée par la pauvreté, ils sont tous les cinq échoués sur ce vague terrain à la périphérie du périphérique, avec leur rêve cassé, le chapiteau fracassé, le cirque évanoui. Un pilône de la vie moderne leur est même tombé sur la tête un soir d’orage, inamovible, personne ne peut plus bouger. La mer, dont rêve Dan inlassablement, est si loin !
Ils sont dans l’immobilité, fracturés du reste de la société, enlisés dans le malheur. A peine de quoi subsister : des sardines volées, de la viande d’abattoir, la vengeance comme seul repas. A l’intérieur de ce microcosme glauque et dur, deux tigres en cage, toute musique vendue. La peur de la flicaille et de la racaille glace tout effort, et le père sombre happé par les démons du jeu. Après avoir dévalisé toute la petite communauté, Il va jusqu’à voler son propre fils, qu’il prend au passage pour victime expiatoire à l’intérieur de ce cercle maudit. Il n’est qu’un sang-mêlé ! Et puis il y a le pouvoir de ce chat, image de Lucifer, plombé dans le ciment qui se débat encore et répand le mal lampant, malgré toutes les incantations en rom et les malédictions en blanc. Et plus tard, même Tanya, la guenon maternelle, l’amour animal de substitution, seul bonheur du jeune garçon, sera enfermé en cage, pour finir en fumée… mais la vie ? ‘Quand on coupe un arbre, il a bien des chances de repousser’. La vie n’a pas dit son dernier mot. Mon amour Ma vie. Ma mère Ma guenon. Excessif, éphémère et beau comme un diamant.
Dan sait ramasser cailloux, ficelles, au fond de ses poches, survivre au cloaque, célébrer la vie, aimer, et rêver de l’immensité de la mer. Rêve inépuisable et jeux interdits qu’il partage avec Zaza, handicapée de toutes parts, et si gourmande de vie, comme lui ! Echapper au naufrage, faire le nouveau voyage ! Libérer la guenon en retrouvant soudain des rites indiens ancestraux, retrouver le mystère du cercle de la vie, éternelle.
La cadence du roman est celle des inéluctables et rudes cahots de roulottes cheminant sur les routes, la langue nous ballotte dans le minimum, mais devient un tel condensé à chaque détour que ce sont des cailloux étincelants que l’on cueille à son tour sur la route, pour se les mettre dans la poche.
On a découvert ce monde étrange, qui se dit à part, en noble filiation avec une culture qui remonte au berceau de L’Indus. Liberté de mouvements des hors castes. Aucune dépendance. Fierté et désespérance, violence du clan et splendeur des gens du voyage. Itinérance, transhumance, on ne peut que respecter la différence et les apôtres du rêve.