Résumé :

Matthieu Brin vient de publier son premier roman, qui remporte un certain succès. Alors qu’il mène une vie paisible avec sa femme Elise et leurs deux enfants, il reçoit un jour une lettre d’une femme qu’il a connue et aimée quelques années auparavant. Cet événement, qui ravive un flot de souvenirs, va faire basculer sa vie.

Extrait :

Par définition l’amour est insupportable, monsieur. L’amour est une plaie. Au sens propre. D’abord blanche, nette, elle ne tarde pas à saigner, parfois elle s’infecte, parfois elle se dessèche, elle démange, au-dessus d’elle se forme une croûte sombre qu’on s’efforce de ne pas arracher. L’amour finit toujours par se transformer en cicatrice, plus ou moins vaste, plus ou moins silencieuse. La question n’est pas de savoir si l’amour est supportable ou non. La question est de savoir si l’on se protège ou si l’on s’expose. Si l’on vit l’abri ou à découvert. Si l’on est prêt à porter sur soi la trace de nos histoires, à même la peau. Quand j’avais trente ans j’ai rencontré un homme. Il a suffi que l’on se regarde pour savoir, je veux dire pour comprendre, qu’on pouvait tout y laisser. C’était un amour qui faisait mal, tout le temps, mal au cœur, mal au ventre, dans l’absence, mais aussi dans la proximité, il y avait cette peur, qui ne cessait jamais, la peur de se perdre. Il devait partir à l’étranger. Il m’a demandé de le suivre. Je sentais combien cet amour entamait mon corps, combien déjà il me consumait. Je suis partie avec lui. J’ai pris ce qu’il y avait à prendre. Je savais, depuis le début ; que je serais celle qui pleure. Un jour, il m’a quittée. Parce que l’amour s’use, comme le reste. Je suis revenue. Je ne pouvais plus vivre comme avant, mettre le réveil à sonner, aller travailler, prendre le métro, passer des coups de fil, me maquiller, faire la cuisine, le ménage, me coucher dans des draps propres. J’étais brisée et je voulais que ça se voie, de l’extérieur. J’ai entamé mon corps de toutes les manières que la vie met à notre disposition. Je suis une femme abîmée, monsieur, ravagée d’alcool, d’attente, de nuits passées dehors, de jours sans douche ni bain, de marches vaines, le cul usé par des bancs comme celui-ci, faute de mieux. Je ne regrette rien. Si k’étais restée, c’eût été pire encore.

Avis :

J’avais beaucoup aimé le style de Delphine de Vigan dans No et moi ; ici, je l’ai un peu moins apprécié. J’aime bien sa façon d’écrire, elle emploie des mots qui touchent le lecteur. Pourtant le ton a parfois un je ne sais quoi de dogmatique qui m’agace. De même, à certains moments (rares, heureusement), on frôle le style Harlequin. Ces réserves faites, et même si j’ai d’abord été un peu sceptique quant au thème du livre, j’avoue avoir finalement été agréablement surprise. Le livre, s’il frôle à plusieurs reprises le risque de sombrer dans les clichés les plus convenus, évite pourtant cet écueil. Du coup, il dérange, il crée une sensation de mal-être, de gêne. Les choses nous échappent, de même que le cours de sa vie échappe au personnage principal, de même que les récits croisés de souffrances singulières qui s’expriment tour à tour donnent au livre sa justesse de ton. J’ai été sans doute plus marquée par ce livre que je ne veux l’admettre, parce qu’il parle d’une angoisse enfouie, universelle, d’un drame intérieur qui ne peut être exprimé que par le biais de l’écriture, et que malgré ses maladresses, il réussit à toucher du doigt.

Note :

Delphine de Vigan- Française
195 pages – 2005 – ISBN : 2-7096-2725-6