Claudie Gallay – Dans l’or du temps
Résumé :
En vacances en Normandie avec sa femme Anna et leurs jumelles de sept ans, le narrateur semble s’absenter de sa vie. Il regarde son couple qui se désagrège lentement, mais comme s’il était un spectateur extérieur. Parti chercher des fraises pour faire le gâteau d’anniversaire de ses filles, il rencontre une vieille dame et l’aide à porter chez elle un panier trop lourd pour elle. Cette rencontre en apparence anodine revêt très vite à ses yeux un aspect fascinant : Alice décide de raconter son histoire à cet homme en échange que lui lui confie la sienne. C’est ainsi qu’elle remonte le temps, évoquant sa jeunesse quand elle avait accompagné son père (parti en Amérique sur le même bateau qu’André Breton durant la guerre) en Arizona pour photographier les Indiens Hopi.
Extrait :
-Hier soir, dans les herbes que vous voyez là, à l’ombre de ces fougères, j’ai vu briller deux lucioles.
Elle s’est tournée vers moi. Elle a avancé sa main comme si elle voulait toucher mon visage.
-Vos yeux… Votre visage aujourd’hui… Comme si vous l’aviez ravagé.
Elle a détourné la tête. Le chat s’était endormi. Comme secoué de soubresauts légers.
-Les chats, quand ils rêvent, c’est tout leur corps qui chasse.
Elle s’est de nouveau tournée vers moi.
-Décidément, vous regarder est insoutenable.
Elle ne me regardait plus. Seulement les arbres. Cette rangée qui faisait barrière au vent.
-Je connais ce sentiment. C’est pour cela que j’aime cette maison. Car il faut bien aimer n’est-ce pas ?… Sans cela, je ne sais pas…
Elle s’est tue comme si elle réfléchissait, si elle doutait encore du bien-fondé de cette chose qu’elle s’apprêtait à me dire.
-Breton était fasciné par l’enfance. C’est peut-être l’enfance qui approche le plus de la vraie vie. C’est de lui. D’habitude, je déteste les citations mais celle-là, il faut bien l’admettre, elle mérite d’être retenue. L’enfance, comme une quête impossible… C’était quelques années avant qu’il ne visite le pays hopi. Je vous lasse, n’est-ce pas ?
-Non.
-Dites-moi la vérité.
-Parfois oui, peut-être…
Elle a éclaté de rire.
-Cette franchise, tout de même !
Avis :
Etant fascinée par la figure d’André Breton, c’est assez naturellement que je me suis sentie attirée par ce livre, dont le titre fait référence à l’épitaphe qu’on peut lire sur sa tombe au cimetière des Batignolles à Paris : “Je cherche l’or du temps”. Toutefois, le chef de file du surréalisme n’est qu’une figure périphérique dans cette histoire qui se construit beaucoup autour des non-dits : à travers une rencontre plutôt incongrue (voire peu vraisemblable, ai-je pensé au début), le narrateur va voir basculer son existence. La relation qui s’instaure entre les deux personnages est très particulière : Alice ne s’embarrasse pas de courtoisie et n’hésite pas à bousculer et à rudoyer son auditeur ; lui va se révéler complètement happé par l’histoire de cette femme, et il ne peut s’empêcher de retourner la voir au détriment de tout le reste. De la violence de leurs échanges naît pourtant une complicité, mais l’écriture s’attache à nous fournir des faits bruts, sur un ton assez saccadé, proche de l’oralité et presque hypnotique. Les mots prennent un relief insoupçonné et force est de constater que la même léthargie que celle qui touche le narrateur nous envahit. L’histoire des Hopi nous ouvre à un monde étranger, étrange et envoûtant, tandis que les échos du passé retentissent de manière insoupçonnée sur le présent. C’est une lecture qui m’a beaucoup touchée mais je serais bien en peine de restituer tout ce qu’elle m’a fait ressentir. L’écriture fait mouche et me donne très envie de continuer à découvrir cette auteure.
Nina a trouvé ce livre remarquable, Leiloona aussi : pour elle, une grande force se dégage de ce récit. Thierry pense que c’est un roman superbement ciselé et qui sort du lot. Dédale conseille cette lecture passionnante.
Note :
Claudie Gallay (1961) – Française
366 pages – 2006 – ISBN : 978-2-7427-7351-0
mars 12th, 2010 à 9:36
Beau billet sur ce livre qu’on a envie de lire
mars 13th, 2010 à 22:46
Ravie de voir que la prose de Gallay te plaît. Ce livre fait partie de mes coups de coeur “à jamais”. )
mars 14th, 2010 à 8:58
C’est Leiloona qui m’a donné envie de découvrir cet auteur. j’ai un livre d’elle sur ma PAL, il va falloir que je m’y mette
mars 14th, 2010 à 22:02
Merci à vous trois. C’est marrant Leiloona, comme Stephie j’ai découvert cette auteure par le biais de ton blog mais j’étais passée à côté du billet sur ce livre précisément. En tout cas, merci pour cette découverte.
février 19th, 2011 à 11:48
[...] Artssouilleurs, Violaine [...]