Jean-Michel Maulpoix - Journal d'un enfant sageRésumé :

Jean-Michel Maulpoix s’imagine dans la tête de son fils Louis et décrit le monde à travers ce regard d’enfant. Le livre se divise en trois parties : un journal qui se décline au fil des saisons, des “Leçons de choses” et les “Proses pour Adrien” (le petit frère de Louis, à qui ce dernier raconte des histoires).

Extrait :

Les animaux humains ne sont couverts ni de poils, ni de plumes, ni d’écailles. Ils dissimulent leur nudité sous des morceaux de tissu, mais montrent en général leur visage et leurs mains.
En été, les beaux soirs volontiers, ils se tiennent au bout de la jetée face à la mer, appuyés contre un mur de pierre au-dessus de l’eau, penauds et éblouis, en répétant : “C’est beau ! Que c’est beau !”
Ils aiment aussi, pour boire un verre de cidre ou pour manger une crêpe au blé noir, qu’une apparence d’infini, couchée couleur bleu-gris, se tienne à côté d’eux, d’un seul tenant, tranquille, avec des courants, des risées, traversée de petits bateaux blancs aux voiles colorées.
Souvent, le bleu reste lointain : juste un trait d’outremer sur l’horizon, la frontière incertaine du pays que l’on n’atteint pas… Au-devant, c’est du gris, ou du vert assez terne, chargé d’algues et de sable. Un ciel lourd pèse sur la mer.
Quand ils grimpent, un autre matin d’été, sur quelque bateau promenade, ils se disputent la proue, la poupe, et les places près du bastingage, afin de se tenir le plus près possible du bleu. Tête vide, ils regardent et regardent encore ce qu’ils ne pourront pas comprendre : le vaste et le profond de la mer, ce grand arbre couché aux poumons pleins d’écume, sa respiration incolore, ses remuements légers, ses frissons, ses creux, ses bosses indécises et ses imbuvables bouillons… Le cœur incorrigible, ils demeurent silencieux, étrangement calmes et bercés de lointains.
Ils aiment ainsi fendre les flots avec des roulis, des sillages et des éclaboussures. Le bleu qui part en gerbe et retombe en blancheur.
Un peu plus tard, remuant les bras et les jambes, ils glisseront dans cette énigme leur corps imperceptible. Puis ils s’allongeront sur le sable, parmi les parasols rayés, dans la chair rouge et grasse de l’été qui sent la friture.
Ce sont là les loisirs de l’âme.

Avis :

En tant que fan inconditionnelle de la plume de Jean-Michel Maulpoix, j’ai ouvert ce livre avec beaucoup d’impatience, d’autant plus que l’extrait en quatrième de couverture était très prometteur. Mais j’avoue avoir été déçue, non pas que l’auteur ait perdu de son talent, mais je n’ai pas vraiment accroché à la forme ni au contenu. Je comprends tout à fait la démarche de l’auteur (il y a quelque chose de très sincère et de très émouvant dans cette déclaration d’amour à son enfant), mais elle a aussi un côté artificiel qui m’a gênée : parfois les mots touchent juste et rendent à merveille une sensation d’enfance ; à d’autres moments, le rythme est un peu plus poussif et on a du mal à en saisir la finalité. J’ai plus vu dans cet ouvrage un écrit intime, destiné à l’entourage proche de l’auteur, mais qui manquait de cohérence pour un lecteur extérieur. Qu’est-ce qui justifie ce changement de narrateur, finalement ? Je n’ai pas réussi à trouver ; je pense que le texte aurait gagné en émotion et en profondeur s’il avait été écrit du point de vue du père. Mais là encore, je ne me sens pas très à l’aise pour juger une démarche qui part de l’intime. Malgré mes réserves, ça ne m’a pas empêchée de goûter à de très beaux passages, où Jean-Michel Maulpoix nous rappelle que rien ne l’inspire mieux que le bleu.

Un article fort élogieux sur ce livre est à lire sur La scie rêveuse.

Note :

Jean-Michel Maulpoix (1952) – Français
137 pages – 2010 – ISBN : 978-2-7152-3141-2