Résumé :

Dans une maison située dans les Yvelines, Isabelle Granger se retrouve avec son amie. Elle s’interroge sur la violence que témoigne sa fille, Nathalie, à l’école mais se refuse à l’envoyer en pension.

Extrait :

Dans le jour qui vient d’une fenêtre, Isabelle Granger lit les carnets. Nous voyons ce qu’elle lit : des livrets scolaires. Nous lisons :
Le premier : “Granger Laurence, 9 ans 1/2. Bonne élève.”
Un deuxième livret glisse sous le premier, on le lit à son tour : “Granger Nathalie, 8 ans. Ne fait rien en classe. Insolente. Enfant très difficile. Décisions à prendre. La directrice voudrait voir le père.”
Isabelle Granger referme les carnets. Mais elle ne les remet pas dans le tiroir ou elle les a trouvés, elle les garde à la main.
On entend la voix off de la directrice de l’école de Nathalie.

LA DIRECTRICE, off.
Cette violence chez une petite fille…

Et on voit la Directrice terminer sa phrase, assise derrière son bureau :

LA DIRECTRICE
En classe, elle déchire ses cahiers, elle fait des taches partout… les devoirs d’écriture… (arrêt) mais enfin tout ça… il y a toujours eu des bonnes et des mauvaises élèves… nous sommes en terrain connu… mais pour le reste… cette violence chez une très petite fille… (Reprise, deux fois, de la phrase dite au générique.)

Avis :

Ce livre est en fait le scénario du film éponyme tourné par Duras en 1972. Souvent, la lecture de scénarios ne m’apporte pas grand chose mais celui-ci est vraiment très intéressant. Il s’agit pour moi d’une œuvre vraiment “durassienne”. En effet, Duras était connue pour son perfectionnisme, elle réécrivait certains livres dont elle n’était pas satisfaite (l’exemple le plus connu étant “L’amant de la Chine du Nord”, réécriture de “L’amant”) et son expérience cinématographique est venue de son insatisfaction de la part des adaptations qui avaient été faites de ses romans. Ce scénario est rempli de petits détails. L’histoire est très simple, il ne se passe pas grand chose mais derrière les silences se cache une violence extrême. Je n’ai pas vu le film et je ne sais pas si on le ressent vraiment devant l’écran mais les nombreux détails laissés par Duras dans ce scénario en donnent la pleine mesure.
Outre ce soucis du détail, on retrouve aussi une double histoire. Tandis que progresse l’histoire des Granger, une radio diffuse tout au long du scénario des informations sur un crime (fait réel que Duras fait figurer dans son histoire). Cette double histoire m’a fait penser à “Hiroshima mon amour” où parallèlement à l’histoire d’Hiroshima se retrace le passé de la jeune femme à Nevers.
Il est intéressant aussi de jeter un oeil au casting mentionné au début du livre. On y retrouve Jeanne Moreau qui a joué plusieurs fois pour Duras ainsi que Dionys Mascolo qui aura été, un temps, l’amant de Duras.
Enfin, Duras est une personnalité connue pour avoir été politiquement profondément marquée à gauche et on retrouve dans ses annotations sa vision critique des différentes classes sociales.
Il y a eu une époque (avant de commencer ce blog) où j’ai énormément lu Duras qui reste pour moi un écrivain remarquable. Ce livre m’a fait replonger dans son univers. Je ne pense pas qu’il s’agit du livre le plus accessible pour ceux qui souhaiteraient découvrir Duras et une fois encore j’inviterai ces derniers à lire “La pluie d’été”, “Ecrire”, “Hiroshima mon amour” ainsi que “Yann Andrea Steiner” pour commencer. Cependant, les amateurs de Duras trouveront pleinement leur compte dans cette histoire (le thème de la solitude, cher à l’écrivain, a toute sa place ici), en tout cas elle m’a donné envie de me replonger dans ses livres et il n’est pas improbable que je vous en reparle bientôt !

Note :

Marguerite Duras (1914 – 1996) – Française
98 pages – 1973 – ISBN : 978-2-07-012821-1