Résumé :

A Quillebeuf, dans un bar, la narratrice (peut-être est-ce Duras ?) discute avec un ami. Dans ce même bar, deux autres personnes, deux anglais : le Captain et une femme. Les français écoutent ce que disent les anglais et à travers les bribes qu’ils saisissent imaginent Emily L., poète et femme au centre de plusieurs amours. Différentes voix : les français, les anglais et la tenancière du café autour de divers thèmes : l’amour, l’écriture, l’angoisse…

Extrait :

De nouveau nous regardons au-delà du propos, du moment. Nous regardons le fleuve, la place, l’été qui dort. Vous me demandez :
- A vous, qu’est-ce qui vous est arrivé ?
- L’imbécillité, sans doute… Il faut de l’imbécillité pour commencer à croire que c’est possible. Mais ce n’est pas une réponse. Comment on arrive à le faire, je ne sais pas non plus, ni pourquoi. Vous savez, personne ne sait pourquoi. On commence. Et puis ça arrive, on écrit, on continue. Et puis voilà, c’est fait.
- Vous étiez très jeune, ça a dû jouer.
- Oui, c’est sûr… J’étais encore à l’école, à douze ans ça a dû être fait. J’ai laissé courir… jusqu’à maintenant. Mais je ne sais rien… comment ça arrive à l’école et en dehors de l’école, comment ça n’arrive pas, je ne sais rien.
- C’est une question d’orgueil.
- Pour le premier livre, sans doute, oui. Chez certains écrivains, des hommes, il n’y a que ça. Mais après le premier livre ce n’est plus tout à fait l’orgueil, c’est après que c’est impressionnant, quand ça s’installe tout au long de votre vie, mais c’est aussi une question de peur, c’est sûr… ça protégerait d’une certaine peur… enfin, je veux dire… c’est possible. Je ne sais pas.
- Etre un écrivain, c’est ne pas le savoir.
- Non, ce n’est pas assez, mais on le dit tellement qu’il doit y avoir quelque chose de vrai. Ecrire, c’est aussi ne pas savoir ce qu’on fait, être incapable de juger, il y a certainement une parcelle de ça dans l’écrivain, un éclat qui aveugle. Et puis il y a aussi que c’est un travail qui prend beaucoup de temps, qui demande beaucoup d’efforts, ça aussi c’est un attrait. C’est une des très rares occupations qui restent intéressantes. On pourrait s’arrêter là.
On rit, et puis ça s’arrête là, en effet. Vous avez dit : Quelle vie.

Avis :

Voici un des livres de Duras que je classerais dans ses textes un peu “obscurs” ou “étranges”. Ce n’est pas déplaisant pour autant, mais on a parfois cette impression chez elle de ne pas tout comprendre à l’histoire. Elle nous en dit un peu mais pas trop et libre à nous de l’interpréter ou de l’imaginer comme on l’entend. Ceci dit, j’ai plutôt apprécié cette lecture où (et c’est récurrent chez Duras) les thèmes de l’amour, de la solitude et de l’écriture sont bien présents. Je me suis demandé si cette Emily L. qui écrit des poèmes dans une certaine solitude et une certaine ignorance de la publication de son oeuvre n’était pas en rapport avec Emily Dickinson dont le cadre de vie était sur certains points similaire. J’ai retrouvé sur un site Internet cette comparaison, le lien n’est donc pas impossible…

Note :

Marguerite Duras (1914-1996) – Française
154 pages – 1987 – ISBN : 978-2-7073-2023-0