Résumé :

Au cours d’une veillée funèbre, de vieilles femmes parlent de leur vie passée. Le roman semble d’abord évoluer au hasard des conversations, puis peu à peu se dessine l’histoire de Thérèse qui, lorsqu’elle était une jeune domestique, s’est mise au service des Numance. Mais le récit se fait progressivement de plus en plus ambivalent.

Extrait :

Thérèse était une âme forte. Elle ne tirait pas sa force de la vertu : la raison ne lui servait de rien ; elle ne savait même pas ce que c’était ; clairvoyante, elle l’était, mais pour le rêve ; pas pour la réalité. Ce qui faisait la force de son âme, c’est qu’elle avait, une fois pour toutes, trouvé une marche à suivre. Séduite par une passion, elle avait fait des plans si larges qu’ils occupaient tout l’espace de la réalité ; elle pouvait se tenir dans ces plans quelle que soit la passion commandante ; et même sans passion du tout. La vérité ne comptait pas. Rien ne comptait que d’être la plus forte et de jouir de la libre pratique de la souveraineté. Etre terre à terre était pour elle une aventure plus riche que l’aventure céleste pour d’autres. Elle se satisfaisait d’illusions comme un héros. Il n’y avait pas de défaite possible. C’est pourquoi elle avait le teint clair, les traits reposés, la chair glaciale mais joyeuse, le sommeil profond.

Avis :

J’ai eu beaucoup de mal à rentrer dans ce roman au début : l’absence de chapitres et de paragraphes espacés sont au premier abord rebutants. Les anecdotes des petites vieilles ne sont pas non plus transcendantes. Puis soudain, sans qu’on s’y attende, on est happé par quelque chose, un petit rien qui nous fait entrer dans l’histoire. On repère à peu près les personnages et tout s’éclaire. Puis de nouveau, on est perdu ; puis de nouveau, on s’y retrouve. C’est que Giono tisse habilement sa toile, et sous des dehors parfaitement innocents, ne laisse rien au hasard. Le personnage de Thérèse s’avère d’autant plus fascinant qu’il se donne à lire selon des points de vue radicalement contradictoires. On en vient à réaliser que le premier dupe de l’auteur, c’est nous-même en tant que lecteur. L’impression finale que tout est remarquablement bien ficelé vient estomper la sensation de fouillis initiale. Ce livre m’a rappelé Un roi sans divertissement du même auteur, que j’avais tout de même préféré. Mais ça reste néanmoins une lecture très édifiante.

Note :

Jean Giono (1895-1970) – Français
370 pages – 1949 – ISBN : 978-2-07-036249-3