Résumé :

Annie Ernaux et Marc Marie étaient amants à l’époque où l’idée de faire ce livre a vu le jour. Fascinés par l’entrelacement de leurs vêtements abandonnés au hasard sur le sol la veille au moment de faire l’amour. ils ont décidé d’immortaliser ces “instantanés” en les photographiant. Puis, à partir de quelques-uns de leurs clichés, ils ont écrit chacun de leur côté sur ce que leur évoquaient ces photos.

Extrait :

Bientôt nous allons échanger nos textes. J’ai peur de découvrir ce qu’il a écrit. J’ai peur de découvrir son altérité, cette dissemblance des points de vue que le désir et le quotidien partagé recouvrent, que l’écriture dévoilera d’un seul coup. Est-ce qu’écrire sépare ou réunit.
Je voudrais qu’il n’ait pas écrit à cause de moi, ni pour moi, mais hors de moi, vers le monde. Pour ma part, en écrivant, je n’ai pas pensé à lui me lisant, je ne sais pas ce que j’ai fait par rapport à lui. Je me demande si je n’ai pas simplement exploré et réuni dans un texte une double fascination que j’ai toujours eue : à l’égard de la photo et des traces matérielles de la présence. Fascination qui est plus que jamais pour moi celle du temps.

Avis :

A travers des photos, il s’agit pour les deux auteurs d’essayer de se remémorer des moments de leur histoire commune. Partant de la description des clichés, chacun évoque ensuite par digression des éléments de sa vie d’alors et développe des réflexions liées à l’amour et à la mort (à l’époque de leur histoire, Annie Ernaux souffrait d’un cancer du sein). La connivence qu’on ressent entre les deux amants, cette entreprise éphémère à la fois désespérée et pourtant très belle apparaît comme un témoignage mutuel d’amour, empreint à la fois de la conscience de sa fugacité et de sa valeur. Le support photographique est aussi l’occasion d’une réflexion sur le temps, la mémoire et les souvenirs. Journal intime écrit à quatre mains, ce livre est profondément touchant. Il nous fait pénétrer dans l’intimité de ses protagonistes, mais loin de présenter une démarche exhibitionniste, je trouve au contraire qu’il recèle beaucoup de pudeur. Ainsi, le lecteur reste toujours en dehors de ce qui se joue entre les deux auteurs, c’est comme s’ils avaient d’abord écrit ce livre pour eux. Quant à la dimension universelle du propos, elle dépasse la sphère de l’intime (alors que paradoxalement, les deux ne sont pas dissociées dans le texte, mais il me semble que la distinction se fait naturellement). Peut-être que je ne suis pas très claire, mais en tout cas, j’ai vraiment beaucoup apprécié ce livre, sa démarche originale et l’intensité qui s’en dégage.

Note :

Annie Ernaux (1940) – Française
197 pages – 2005 – ISBN : 2-07-032098-7