Résumé :

Dans la Barcelone des années 20, David Martin est bien décidé à vivre de sa plume à tout prix. Mais celui qu’il va devoir payer pour aller au bout de ses rêves est très élevé. D’abord exploité par deux éditeurs pour qui il écrit des romans-feuilletons publiés sous le pseudonyme d’Ignatius Samson, il doit aussi faire face à une vie affective tourmentée et à de graves soucis de santé jusqu’au jour où un mystérieux éditeur, Andreas Corelli, entre en contact avec lui et lui fait une proposition tout aussi étrange que tentante.

Extrait :

-Oubliez cette maison. C’est un lieu maudit.
-Malheureusement, c’est impossible. Je l’habite.
Madame Marlasca fronça les sourcils.
-Je croyais que personne ne voulait y vivre. Elle est restée vide pendant des années.
-je l’ai louée il y a déjà longtemps. La raison de ma visite est qu’au cours des travaux de rénovation, j’ai trouvé une série d’effets personnels dont je crois qu’ils appartenaient à votre défunt mari et, je suppose, à vous-même.
-Il n’y avait rien à moi dans cette maison. Ce que vous avez trouvé doit être à cette femme…
-Irene Sabino ?
Alicia Marlasca eut un sourire amer.
-Que voulez-vous réellement savoir, monsieur Martin ? Dites-moi la vérité. Vous n’êtes pas venu ici dans le seul but de me rendre de vieilles affaires de feu mon mari.
Nous nous dévisageâmes en silence, et je sus qu’à aucun prix je ne pouvais ni ne voulais mentir à cette femme.
-J’essaye de comprendre ce qui s’est passé dans cette maison, madame Marlasca.
-Pourquoi ?
-Parce que je crois qu’il m’arrive la même chose.

Avis :

C’était impossible de faire un résumé de ce livre et je suis peu satisfaite de celui qui est ci-dessus, où j’en dis trop en même temps que je ne dis pas l’essentiel, mais passons. Le Jeu de l’ange est un ouvrage à peu près irrésumable, qui lui-même en dit trop et pas assez. Je me suis laissée happer dans la pittoresque Barcelone de l’auteur qui enchaîne avec plus ou moins de brio les changements de style. Le livre puise dans le mythe de Faust, emprunte à la veine gothique jusqu’à se complaire parfois dans des invraisemblances un peu indigestes, le fantastique règne bientôt en maître tandis que le livre met l’accent sur la destinée tragique du personnage principal en passant aussi par le roman policier ; le tout  étant martelé par l’idée d’un amour jamais démenti pour l’écriture et les livres. En bref, ce pandémonium littéraire tourne par moments au joyeux bordel (même si en l’occurrence, le bordel a plutôt ici vocation à effrayer), surtout qu’il a tendance à accumuler les énigmes et ne prend pas vraiment le temps de toutes les dénouer. Je me rends compte que j’émets beaucoup de réserves et pourtant : malgré les tics d’une écriture romanesque par moments trop classique et les changements abrupts de rythmes dans la narration, la magie opère. On se retrouve irrémédiablement hypnotisé par le talent du conteur dont la virtuosité nous prend au piège : j’ai trouvé que l’écriture ne cessait de gagner en intensité jusqu’à la maestria des dernières pages qui, finalement, nous fait regretter que la fin arrive si vite. En outre, certains passages sont vraiment effrayants et présentent un suspense tout à fait maîtrisé tandis que d’autres sont profondément touchants et sonnent très juste – ils contrastent avec d’autres, tantôt  trop prévisibles, tantôt maladroits.
Lourd d’un héritage littéraire écrasant, Le Jeu de l’ange sait toutefois tirer son épingle du jeu et réussit à faire naître de la polyphonie une œuvre originale et terriblement prenante dont je ne peux que vous recommander la lecture, ne serait-ce que pour ses très beaux passages entre Isabella et David, dont les rapports sont à mes yeux ceux qui sont construits avec le plus de brio.

Note :

Carlos Ruiz Zafon (1964) – Espagnol
537 pages – 2009 – ISBN : 978-2-298-02619-1